Presse - Loi du marché ou loi de l’actualité ?

Courant de semaine dernière, alors que l’actualité était très chargée, j’avais l’intention d’écrire un article pour Unidivers sur le sujet Ukrainien.

Je l’ai déjà abordé 2 ou 3 fois mais cette fois j’avais trouvé un angle différent : La fourniture d’armes et les conséquences dans les conflits contemporains. J’avais commencé à réunir les données, à bâtir mon plan et entamé la rédaction de l’introduction. Mais comme ce n’est qu’une activité secondaire, je n’ai pas eu le temps de pondre l’article suffisamment vite dans une actualité qui va elle aussi très vite. Après les réunions multipartites de Minsk, il y a eu cessez le feu. L’Ukraine n’est pas forcément le sujet qui passionne les foules pour l’instant en France et d’autres sujets (souvent plus superficiels) sont venus prendre la place.

Une autre information a été passée sous silence, ou presque : La mort de Louis Jourdan. Et là j’en entends déjà me répondre « C’est qui ça? ». Louis Jourdan était un acteur français avec une particularité : Il a fait la majorité de sa carrière aux Etats-unis. En France, on l’a trop souvent jugé comme le « french lover » oubliant ses nombreux talents (chanteur, acteur, animateur…) et la palette de jeu qu’il a su insufflé dans de nombreux personnages. Il est le type même de l’acteur sous-estimé par la France, jalousé sans doute pour sa réussite hollywoodienne. Et il a eu le malheur de décéder à 93 ans le jour où des attentats se produisaient à Copenhague.

Pourquoi ces deux sujets, à priori si différents,  réunis ici ? Tout simplement pour montrer que l’actualité est sans pitié, sautant du coq à l’ane. Des sujets éclipsent trop vite ceux qui apporteraient de la culture, du recul. On ne prend plus le temps de comprendre, de creuser. Dans une activité devenue purement commerciale, on cherche à capter le client, histoire de s’assurer des revenus publicitaires. La vision du documentaire « Les Gens du Monde » m’a confirmé ce clivage qui peut exister dans cette activité :  Doit-on fournir ce que les gens attendent ou essayer de leur proposer autre chose, les instruire, au risque des les perdre? Doit-on courir sans arrêt après l’information ? Un passage du documentaire montre Arnaud Leparmentier se poser des questions sur ce dernier point. Une question que je ne devrais pas me poser, n’étant pas dans la même posture. Et pourtant, il m’arrive de laisser tomber des articles avec dans l’idée qu’il n’intéresseront plus personne, avec dans l’idée qu’il est trop tard. Et même le blogueur se retrouve dans ce même cas, entre ce qui est « vendeur », coller à l’actualité, ou bien simplement faire ce qu’il a envie de faire, de partager.

Alors la culture pour la culture a quelque peu émoussé ma plume ces temps-ci. Le temps se fait aussi rare pour pondre quelque chose d’un peu plus profond ou recherché. Il y a évidemment une manière de présenter un sujet ardu pour le rendre passionnant. Par exemple en attirant par un titre, en trouvant un angle inattendu… J’ai renoncé à faire une nécro de Louis Jourdan et il faudrait que je trouve un film à inclure dans la cinémathèque idéale pour le mettre en valeur. Mais là encore, je ne suis pas du genre à pondre une analyse du film complète, préférant aussi laisser la liberté au lecteur de se faire une idée et de revenir ensuite en discuter. Tout le paradoxe est donc de donner envie de découvrir un sujet ou une oeuvre, ce qui revient à faire de la publicité, tout en refusant de tomber dans le mercantilisme journalistique, c’est à dire la recherche de ce qui fait vendre avant la recherche de l’information. Ce paradoxe, on le retrouve de plus en plus souvent dans le décalage entre Une et Contenu, ce qui peut créer de la déception et donc la perte du lectorat. On peut citer les exemples de Libération et Charlie Hebdo pour ce cas, voir du Monde dans sa phase récente. On en revient finalement à la cause racine : Le financement du journalisme. Ce financement qui pousse les chaines de télévision à en faire trop dans les faits d’actualité, comme pour la poursuite des frères Kouachi. Mais le drame est que lorsque le CSA les menacent pour des fautes bien avérées, le corporatisme l’emporte sur l’auto-critique. De censure de l’information, il n’y a point ici en France, par le CSA mais plutôt par les capitaux qui empêchent d’aller enquêter sur ce qui serait contraire aux intérêts financiers des medias. Mais là, c’est l’Omerta.

Dictature de l’audience, dictature de l’argent face au droit d’informer, de cultiver. Le match est vite gagné dans le modèle actuel. Qu’il semble loin le temps où les journaux n’avaient pas de publicité pour vivre ! Qu’il semble loin le temps où je lisais un Moniteur Automobile sans la moindre page de pub. Le net permet de réinventer l’information et pourtant on retrouve le même système de financement par la publicité. Ce à quoi on a répondu par des outils anti-pubs…qui maintenant vendent leur accès à la whitelist aux groupes de publicité. Je suis assez content qu’Unidivers fonctionne autrement, par le mécénat local, le bénévolat, pour reconquérir petit à petit ces territoires du savoir et de l’information que nous avons laissé perdre.

Même si je regarde les chiffres parfois, je préfère oublier toute notion d’audience, de fréquentation car au final cela perturbe trop ce que l’on écrit. La première chose devrait être la passion, dans le sens noble du terme. Et quand on la perd, mieux vaut arrêter, partir à sa recherche que de continuer sur une fausse piste … Bref, ce fameux article sur les armes et l’Ukraine, je finirais bien par l’écrire un jour (pour tout vous dire, il avance bien…) , le sujet revenant hélas sans cesse dans l’actualité.


Ecrit le : 22/02/2015
Categorie : reflexion
Tags : Culture,journalisme,presse

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