Géopolitique - Ukraine, Danger du marché de l'armement

A l’heure où le camp de l’OTAN discute de son soutien au régime Ukrainien, il serait intéressant de jauger les conséquences de la fourniture en arme dans les conflits mondiaux.

La dispersion d’un conflit

Si “guerre froide” pourrait bien être un terme à nouveau d’actualité, les conséquences de la précédente guerre froide ont trop souvent été oubliées. Un seul exemple mérite à lui seul un instant de réflexion pour mieux appréhender les conséquences possibles du conflit ukrainien  : L’Afghanistan. Lorsque l’URSS a envahi son voisin en 1979, c’était pour soutenir un des camps d’une guerre civile larvée qui durait déjà depuis quelques années mais aussi pour répondre à la menace conjointe d’une opposition soutenue par le duo Pakistan/Etats-Unis et de celle soutenue par l’Iran dont la révolution vient de porter au pouvoir l’Ayatollah Khomeini. La peur d’une contamination dans les territoires d’Asie centrale pousse le régime de Moscou à intervenir et le conflit fera plus de 150 000 morts militaires et plus d’un million de civils en 10 ans, continuant ensuite jusqu’à aujourd’hui. Bon nombre des armes de l’époque soviétique se sont retrouvées durablement sur les champs de bataille. Les Etats-Unis, la Chine, l’Arabie Saoudite, l’Iran, le Pakistan ont soutenu les belligérants en vendant des armes, en apportant un soutien logistique en base arrière en plus de l’enseignement au métier des armes. On parle de 3 à 4 milliards de dollars de soutien pour USA et régime saoudien (des sources pakistanaises parlent de 8 à 10 milliards pour le soutien du golfe). Ces milliards alimentèrent les différentes factions de Moudjahidines dans un pays divisé en tribus et pas des plus recommandables. L’enseignement prodigué servira ensuite à alimenter des camps d’entrainements peuplés de mercenaires qui iront ensuite monayer leurs talents sur d’autres terrains d’opérations. Les réseaux d’approvisionnement clandestins en armes et les réseaux de financement sont constitués pour un bon nombre de conflits en Afrique du nord, Moyen Orient, mais aussi Asie du sud-est, Afrique centrale et Asie centrale. Aujourd’hui en Ukraine nous observons l’afflux de combattants en provenance des Balkans, notamment d’ex-Yougoslavie mais aussi de Pologne, Biélorussie et même des pays baltes, en plus des combattants russes officieux et officiels. Le phénomène n’en est encore qu’au début.

Des armes perdues

Les approvisionnement en arme pour soutenir une armée officielle et formée par des occidentaux a parfois des conséquences innatendues. Nous avons pu l’observer très récemment en Irak. L’organisation Etat Islamique s’est constitué non seulement par un rectrutement local et un approvisionnement par des filières constituées lors de ces conflits passés, mais aussi en prenant à l’ennemi les armes laissées. Quand nous disons laissées, c’est autant par des déserteurs, par une armée irakienne sous-payée, désorganisée, mais également après des batailles gagnées souvent par l’intimidation. La perte de Mossoul en est le pire exemple, les terroristes s’emparant de chars et véhicules blindés flambant neufs en plus des habituelles armes légères. Si l’on ajoute le pétrole vendu “clandestinement” avec l’assentiment des groupes pétroliers, nous voyons bien que le risque est conséquent. Ajoutons que dans le monde, 76% des armes sont détenues par des civils, ou considérés comme tels, c’est à dire des personnes pouvant former des milices et des armées non régulières, comme celle des pro-russes en Ukraine mais aussi les Milices nationalistes ukrainiennes qui faisaient la loi à Kiev lors de la chute du précédent régime. De l’arme légère, nous voyons maintenant un afflux d’armement plus lourd fourni aussi bien par la Russie coté pro-russe que d’autres pays occidentaux et sans doute des BRICS.

L’Ukraine, pays armé

Mais ce serait oublier que l’Ukraine est un fort producteur d’arme dans le monde avec 2% du marché de l’armement mondial soit 589 Millions de Dollars en 2013 (contre 1489 pour la France) le situant au 10ème rang. Cette production est issue de la chute de l’empire soviétique et n’a pas forcément connu de modernisation mais permet la fourniture d’un armement “bon marché” très prisé dans de nombreux conflits. Les villes de Lugansk,Dnipropetrovsk ou Kharkhiv disposent de grands fournisseurs, de même que Kiev. On remarque qu’une majorité de ces fournisseurs sont situés à l’est de la ligne formée par la rivière Dniepr qui coupe le pays en deux et dans des régions pro-russes. Face à cela, nous avons une Russie qui a beaucoup misé sur l’industrie de l’armement ces derniers temps (8580 Millions de Dollars en 2013 avec une augmentation graduelle depuis l’ère Poutine), autant pour son propre besoin que pour rayonner à nouveau dans le monde. De ce point de vue, tout conflit reste l’occasion de montrer le matériel en action, de spéculer cyniquement. Il n’est donc pas sûr que tout le monde perde dans cette affaire. L’OTAN et l’establishment Etats-uniens ont gonflé également le budget militaire ces deux dernières années à hauteur de ce qu’il était après les attentats du 11 septembre.

Scénario catastrophe

Et si cela se retrouvait dans les mains de mercenaires qui iraient ensuite utiliser leurs talents ailleurs. Coté Ukrainien, on pense aux factions nationalistes et xénophobes qui demain peuvent se retrouver dans des pays voisins, comme hommes de mains de mafias locales, … La situation dans les Balkans, en Macédoine, ex-Yougoslavie, Albanie, Hongrie voir Grèce n’est pas suffisamment saine économiquement pour ne pas voir s’installer ce type de milices. La montée des nationalismes qui accompagne la crise ajoute encore au risque. Coté Russe, c’est également le problème. Poutine joue un double jeu, se méfiant des révoltés pro-russes tout en essayant de tirer parti de la situation. Pris à la gorge par la situation financière de son pays, il ne voudrait pas qu’un sentiment de révolte arrive dans quelconque région de Russie ou dans une république périphérique. L’assassinat d’un opposant au régime (mais aussi ancien ministre du régime corrompu d’Eltsine…), montre que les armes circulent aussi beaucoup dans la capitale russe. Dans une Ukraine qui a du mal à conserver les services élémentaires de l’état, dans les deux camps, voir un afflux d’arme supplémentaire n’augure de rien de bon après une révolution orange pacifique et une autre plus meurtrière. La colère populaire trouverait là d’autres moyens d’expression.

Les dés sont-ils pipés ?

La France et l’Allemagne, surtout, ne veulent pas officiellement fournir un soutien aux forces ukrainiennes qui perdent du terrain. Officieusement, on sait que des conseillers de l’OTAN sont intervenus sur place, au même titre que des soutiens russes pour les forces ennemies. Lorsque l’on se rappelle que 4,4% des exportations françaises étaient dûes à l’armement dans les années 80 et que les chiffres restent discrets pour les exportations actuelles (2 armes sur cinq saisies à Boko Haram sont de provenance Française, selon des sources Tchadiennes), il est légitime de se poser des questions sur la réelle volonté de neutralité des leaders européens, mais surtout de résolution du conflit. L’affaire des frégates Mistral non livrées à la Russie est intéressante : Alors que l’on livre des avions Rafales à ce qui s’avère une dictature en Egypte, comment expliquer cette non livraison sinon par la possibilité d’autres accords lucratifs, ou des promesses de commandes pour les chantiers STX (capitaux Norvégiens et Sud-Coréens! ) de Saint-Nazaire et d’ailleurs ? L’avenir pourrait nous le dire. Il a été avéré que, malgré les promesses, des armes françaises ont été livrées sur le théâtre Syrien. Le discours laudateur d’Hollande sur l’arme nucléaire ne devrait pas nous rassurer. Et comme dit l’adage, si ce n’est pas nous qui fournissons les armes, ce sera un concurrent. La Grande-Bretagne s’est déjà positionnée en apportant un soutien aux forces ukrainiennes qui ne s’arrêtera certainement pas à quelques officiers d’instruction. Mais surtout le problème principal est de proposer une alternative durable à la solution militaire pour fixer à nouveau les frontières dans ce conflit aux portes de l’Europe. A cela, la réponse diplomatique peut difficilement venir des pays scandinaves, cette fois, ou d’une diplomatie européenne décidément absente et désunie. Le temps joue-t-il pour Poutine ou l’OTAN ? chacun le croit et gageons qu’il joue surtout pour les marchands d’armes.


Ecrit le : 25/03/2015
Categorie : geopolitique
Tags : afghanistan,armes,balkan,Geopolitique,guerre,irak,OTAN,poutine,russie,ukraine

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