Cinéma - Colonia de Florian Gallenberger (2015)

11 septembre 1973 : Pinochet prend le pouvoir au Chili, dans le sang, soutenu par les Etats-unis. S’en suivra une des dictatures les plus sanglantes de cette fin de siècle. Mais le réalisateur allemand Florian Gallenberger nous en montre quelques facettes…

Il faut être fou pour choisir de compter une telle histoire à travers une histoire d’amour, surtout quand on aborde des sujets comme la torture, le nazisme, la pédocriminalité, … Mais ne fuyez pas tout de suite, le film n’a rien d’insoutenable. Il commence la veille du coup d’état, lorsque Lena (Emma Watson) , hotesse de l’air sur Lufthansa, rejoint son fiancé Daniel (Daniel Brühl), un activiste allemand engagé auprès des pro-Allende. Le pays est divisé, sous la pression des manipulations américaines, via les multinationales. Le film n’aborde pas la génèse de Pinochet pour se concentrer sur le basculement dans l’horreur. Daniel est arrêté, reconnu comme complice des “communistes” et emmené dans une …. ambulance. Lena est seule dans ce pays en pleine contre-révolution. Des milliers de gens disparaissent en prison, et elle parvient à savoir que son fiancé est dans une ferme, la Colonia Dignidad, dirigée par un certain Paul Schäfer (Michael Nyqvist). Pour sauver son amour, elle décide d’entrer dans la secte que dirige Schäfer dans ce qui s’avère plus un camp retranché dont personne ne sort.

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Le film se transforme assez vite en film d’évasion, même si ce qui maintient l’envie de vivre chez nos deux héros, est cet amour. Le réalisateur a choisi de ne pas présenter le passé de Schäfer, ancien SS, devenu pasteur, ayant fuit l’Allemagne pour des  affaires pédocriminelles (car l’histoire de cette colonie est vraie). On sait juste qu’il est le gourou incontesté de cette secte religieuse, vivant en autarcie. Mais on comprend moins ce qui a pu le lier à l’armée et aux tortionnaires qu’il accueille dans les sous-sols de ce complexe. L’ambiance qui règne fait froid dans le dos et on ne tarde pas à comprendre ce qui est réservé aux petits garçons, sans comprendre l’absence de petites filles…. C’est aussi un asservissement cruel des femmes, dont on peut se demander ce qui a provoqué cela chez Schäfer. Ces sujets parallèles ne pouvaient être abordés en 2h, alors que l’on voit plus la technique de torture (au passage, on retrouve ce que Naomi Klein décrit dans la Stratégie du Choc, livre indispensable pour ce qui se prépare en 2017…), visant à faire tomber les barrières de la victime pour le reprogrammer. Beaucoup de prisonniers n’en réchappent pas, où deviennent des légumes. Il manque juste une vue sur le manuel issus de la CIA pour faire un tableau complet. Il manque beaucoup sur les connivences et complicités occidentales, même si Gallenberger finit dans l’accusation.

Sur un sujet aussi casse-gueule, le film s’en sort bien. C’est très différent du huis-clos de la Jeune fille et la mort de Polanski, évidemment. C’est moins partisan que la Maison aux Esprits de Bille August, tout en étant complémentaire. Le casting est efficace, même si Emma Watson abuse de son regard colérique. On aimerait presque voir plus Nyqvist développer son personnage, tant il est effrayant. Mais le plus gros défaut reste la mise en place, trop simpliste et utopique (l’entrée de Lena dans la communauté ou ses déplacements dans le camp). Le film a donc le mérite de faire garder la mémoire sur cette période de l’histoire, de rappeler que la “plus grande démocratie du monde” est l’auteur de ces crimes, et qu’il ne faut parfois pas grand chose pour qu’un pays bascule sous le règne de la torture. Par ailleurs, il existe des documentaires sur cette colonie, pour aller un peu plus loin sur le sujet. Sans tomber dans le gore d’un film de torture, ni dans le mièvre d’une histoire d’amour en milieu carcérale, Colonia parvient à se faufiler entre les pièges avec un certain brio, mais risque aussi de décevoir ceux qui voulaient plus de matière sur cette période de l’histoire.


Ecrit le : 06/02/2017
Categorie : cinema
Tags : 2010s,chili,Cinéma,dictature,histoire,torture

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