Géopolitique Le vrai visage d'Irma

Je ne sais pas vous, mais dans toutes les images que l’on a eu d’Irma, quelques éléments m’ont choqué. Non, ce n’est pas le problème des secours, mais bien plus profond que cela. Cela a un rapport avec la sur-représentation…

En effet, depuis le début d’Irma, on a eu quasiment autant d’images des préparatifs en Floride que des conséquences d’Irma dans le chapelet d’îles des Caraïbes. On a vu en boucle les files de voitures qui fuyaient cet état, les magasins vides de denrées, Miami Beach qui se prépare puis devient déserte. Nous n’avons pas eu une telle profusion d’image à Cuba, Haïti/République Dominicaine ou même aux Bahamas et à Puerto Rico. La raison est en réalité toute simple et tient simplement à l’importance géopolitique des États-unis par rapport à des pays que la plupart des gens ne savent pas situer et également à l’importance du développement des médias dans ces même pays/iles. Il est facile (et bon marché) d’acheter des images aux Networks états-uniens alors que ça l’est moins pour des territoires avec qui on a peu de relations et qui ont peu de diffuseurs..Ce qui est normal pour une île de 80 000 habitants comme Saint Martin, ou même pour les Bahamas avec moins de 400 000 habitants). Les chaînes françaises ont plus l’habitude de traiter avec leurs correspondants aux USA que des contacts mal définis ailleurs. S’ajoute à cela la baisse des moyens des chaînes, la diminution des correspondants et vous avez donc l’impression qu’Irma va faire un massacre aux USA alors qu’ailleurs il ne se serait pas passé grand chose. Quelques jours après le passage d’Irma, on parle évidemment des territoires français mais on a oublié tous les autres. Il ne faudrait pas sombrer non plus dans le voyeurisme malsain d’après catastrophe.

Et puis, il y a une autre sur-représentativité. Celle des blancs. On a beaucoup parlé des expatriés et touristes français mais peu des populations locales. On a vu peu d’hispaniques, assez peu de noirs aussi en Floride dans les reportages. Les correspondants montraient les beaux quartiers touristiques plutôt que les ghettos ou les quartiers comme Brownsville, les quartiers pauvres, ceux où les habitants n’ont même pas d’assurances. A ce sujet, on parlait à Saint-Martin de 50% d’assurés multirisque, donc qui pourront reconstruire plus facilement que les autres. Le sujet a été peu traité, de même que la spéculation autour des catastrophes qui a vu la mise sur le marché boursier de placements adossés à ces risques.(voir aussi la Revue Dessinée N°12). Mais sur la sur-représentativité ethnique, on a eu une certaine omerta sur Saint Martin. L’île, coupée en 2, a vu sa population évoluer. Le boom touristique a fait diminuer la part de la population créole au profit d’expatriés européens et américains. Il y a un fort ressentiment entre les composantes ethniques de cette île, un peu comme on a pu le voir s’exprimer il y a quelques mois en Guyane, Guadeloupe ou Martinique, sans parler du manque de développement des infrastructures et services publics de nos DOM et TOM. Avec 120 nationalités présentes, il est difficile de faire un tableau exact de la situation dans un reportage de 2 minutes. Mais on peut s’étonner de ne voir que des quartiers d’Hôtels, de Marina, de resorts et lotissements, plutôt que des quartiers plus populaires, certainement plus touchés encore. Au delà de toute polémique sur la mise en place des secours, l’anticipation, il conviendra aussi de prendre en compte ces maux qui se sont exprimés de diverses manières, pillages compris, dans la reconstruction de ces territoires que l’actualité oubliera aussi vite qu’Haïti. Haïti continue d’être une catastrophe aujourd’hui avec certaines ONG qui font n’importe quoi tandis que d’autres essaient de faire du solide et du durable.

Et puis, il y a** l’impact des réseaux sociaux** dans cette vision de la catastrophe. On peut dire qu’ils sont utiles pour retrouver des personnes disparues mais là, on tombe pile dans le coté inverse. Avec l’absence de réseau de communication, d’images, on se trouve avec la bonne vieille propagation de rumeurs. Ainsi, on avait une prison qui laissait s’échapper des prisonniers par centaines ou bien encore des pillages qui semblaient mettre toute l’île à feu et à sang (sans minimiser toutefois ce qui s’est passé). Ces rumeurs ont été ensuite relayées par les réseaux sociaux et on a tendance à prendre ça pour argent comptant. Au point que même les journalistes sur place intègrent cela dans leur billet du jour, sans prendre le temps de vérifier, faute de moyens, de temps justement, ou de possibilité d’aller sur place. Irma a mis aussi en lumière ce travers de notre société moderne où il est plus facile de faire du sensationnel que de la vérité, où il faut de l’immédiat plutôt que du recul et de l’analyse.

Malheureusement, c’est une fois l’actualité passée, que ces territoires meurtris auront le plus besoin du reste du monde, tout comme l’Asie du Sud-est ou l’Afrique Sub-saharienne. Les sécheresses sont moins spectaculaires, c’est sûr, et la Mousson est aussi habituelle qu’on finit par l’oublier (ethnocentrisme, quand tu nous tiens). Quant à prédire la progression de ces catastrophes avec le réchauffement climatique, il faudrait être… Madame Irma, puisque là aussi les climatologues ne sont pas encore unanimes. Mais ça ne devrait pas s’améliorer si on regarde au global de l’ensemble du globe. De quoi réfléchir qualitativement à la reconstruction et à la mise en place d’une chaîne logistique post-catastrophe.


Ecrit le : 15/09/2017
Categorie : geopolitique
Tags : cyclone,ethnocentrisme,Geopolitique,information,irma,Réflexion

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