Blog - Notre-Dame, nos drames

J’avoue que l’incendie de Notre-dame m’a fait changer un peu de sujet pour aujourd’hui. Ou plutôt devrais-je dire que ma réaction et celle d’autres personnes m’ont amené à réfléchir un peu à tout cela.

J’ai été touché, je l’avoue, par ce drame mais sans sombrer pour autant dans l’hystérie que j’ai vue et entendue chez de nombreuses personnes. J’ai visité plusieurs fois cet édifice, admiré ses reliques, lu sur son histoire, lu et vu des fictions autour donc forcément, je suis marqué par cela à cause de tout ce passé. Je fus parisien par le passé et tout cela me paraissait immuable, indestructible. C’est en cela que ça m’a choqué de voir tomber la flèche comme un château de carte. Et puis il reste une dimension spirituelle, presque inconsciente…

Pourtant, je ne me sens pas particulièrement chrétien, croyant, ou même atteint dans ma chair. Il n’y a pas une attaque, un attentat mais juste un banal accident sans doute qui, au lieu d’un appartement d’un immeuble d’habitation, a détruit un monument célèbre dans le monde entier. Mais je me suis déjà senti triste pour des cas similaires, par le passé. Assez récemment, j’étais effaré par la destruction du musée national de Rio et pourtant je n’ai aucun lien particulier avec le Brésil ou les collections que contenait ce bâtiment. Il y a eu aussi ces monuments qui ont été détruits par des tremblements de terre comme en Italie en 2016. Il y a ces monuments touchés par les guerres, que ce soit par l’EI en Syrie ou des Bouddhas détruits en Afghanistan par les talibans. Mais je me suis senti aussi meurtri en découvrant des temples chams à My Son, qui furent le théâtre de combats pendant la guerre du Vietnam. J’ai souffert aussi de voir l’état de destruction de la cité impériale de Hué, après les bombardements US et les combats et assauts de chaque bord. Et plus proche de nous, l’incendie du Parlement de Bretagne m’avait touché. Je me retrouve juste touché par la beauté que l’on détruit.

Je serais certainement aussi touché si c’était Sainte-Sophie ou la Mosquée bleue d’Istanbul qui s’écroulait, si c’était le Taj-Mahal. Je serais anéanti de voir l’esplanade des mosquées ou le mur des lamentations détruits par un attentat ou une attaque. Je me suis senti aussi touché lorsque j’ai visité les restes du World Trade center, quelques années après les attentats du 11 septembre. Il y avait une ambiance pesante mais aussi le sentiment de ressentir encore le choc que l’on avait vécu par écran interposé. La flèche de Notre-dame m’a fait revivre la chute de ces tours qui paraissaient elles aussi indestructibles. Rien ne l’est et nous l’oublions. Et pourtant il n’y avait rien de commun entre ces deux évènements, ne serait-ce que sur la portée géopolitique.

Notre-dame est évidemment au delà d’une cathédrale, le centre historique de Paris qui reste, encore aujourd’hui, le centre de la France, son point névralgique. C’est une centralisation spécifiquement française. Les gilets jaunes ont parfois rappelé que la province existait mais ils sont montés à Paris pour le faire savoir. Alors, que ce centre soit touché, c’est dans l’inconscient collectif, un peu de chacun qui est touché… Et pourtant, chacun n’a pas le même ressenti. Je n’ai pas eu le même état émotionnel au cours des jours qui ont suivi. En effet, j’ai assez vite relativisé. Je suis autant ému par les gigantesques incendies qui détruisent la Californie, l’Australie ou le Sud de la France, le Portugal presque chaque année. A ces moments, je pense à la nature, aux animaux, aux plantes, ces autres beautés que nous n’avons pas créées mais que nous nous acharnons à détruire. Je pense moins aux humains, rarement aux maisons, allez comprendre. Et pourtant, les drames humains me touchent aussi, comme le grand Tsunami de 2000, et tant d’autres catastrophes qui touchent des pays lointains, ou un peu plus proches, des hommes, des femmes, des enfants…. Les drames humains me touchent aussi lorsque je vois la détresse dans nos propres rues.

Cette fois, il y avait des flammes, ce que l’on qualifie parfois de symbole de l’enfer et qui paradoxalement ont touché le domaine du sacré. Les humains paraissaient minuscules à coté de cet élément et pourtant il y eut la délivrance au bout d’heures et d’heures de lutte des pompiers. Ce moment nous a rappelé notre faiblesse et notre force à la fois. Mais en réalité, chacune des catastrophes qui s’enchaînent doivent nous le rappeler. Il y a juste que cette fois, c’était proche, familier. Mais contrairement à d’autres, je n’y vois aucun destin, juste un évènement isolé, qui forge un peu plus nos vies. Je ne peux me résoudre à le mettre au dessus des autres. Si je suis touché, ce n’est pas la manifestation d’une peur mais plus le fait qu’une œuvre collective, un chef d’œuvre témoin du passé disparaisse. Pour les autres cas que je citais, les drames humains, je ressens tout autre chose, ce qui me donnera plus envie d’aider que dans le cas présent.

Le traitement de l’information m’a très vite été insupportable. Il y a d’abord ce recours aux témoignages, à l’émotion à chaud, aux propos souvent gênants. Le larmoyant fait vendre, permet parfois de s’identifier, de communier mais là c’était plus que déplacé. Le micro-trottoir comme mesure de l’opinion reste la facilité du journalisme actuel, une manière aussi d’orienter, trop souvent. Là, l’orientation était dans la recherche de la larme, de la révolte, de l’incompréhension. Il faut dire qu’il n’y avait d’autres informations que les images, lointaines. Symboliquement, les témoignages des badauds ressemblaient parfois aux analyses simplistes du président Trump, ou aux déclarations d’un président qui donne un délai de chantier sans rien connaître du métier ou de l’état initial. L’édition spéciale est devenue continue et cela tenait presque du voyeurisme de voir mourir peu à peu la Cathédrale, ou bien ses flammes. Le lendemain, c’était le sujet de discussion du café du matin, chacun y allant de son souvenir du monument. Là, on s’aperçoit de la place relative qu’occupait Notre-Dame de Paris, de ceux qui n’avaient jamais visités le lieu et le regrettaient comme s’ils se sentaient exclus d’un groupe. Et puis les experts se succèdent à l’antenne, souvent moins que les éditorialistes et politiques qui croient tout savoir sur l’architecture, la remise en état du patrimoine ou même sur les dons aux associations (en baisse forte en 2018). On a entendu tout et n’importe quoi en terme de chiffres, de crédits d’impôts et ce que ça coûterait, et plus encore en projets farfelus pour un bâtiment qui est cadré par des lois nationales et par l’UNESCO.

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Mais je relativisais, pas tout seul et cela n’a fait qu’augmenter. J’ai lu des réactions plus posées sur les réseaux sociaux, parfois cyniques aussi. Mais je trouvais justement ça positif de ne pas lire la même chose, que certains soient indifférents, étanches à cette émotion. Ca me rassurait dans ma condition d’humain comme lorsque j’ai boudé d’autres grands évènements récents, ne cédant pas à la pulsion de l’instant. Mais surtout, cela permettait de redescendre un peu sur terre. J’ai en mémoire les paroles de l’historien Odon Vallet dans la soirée qui était assez fataliste, finalement. Il gardait en fait tout le sang froid nécessaire pour ne pas oublier que d’autres malheurs avaient parfois plus d’importance et que ce qui devait arriver un jour était simplement arrivé, que nous étions impuissants maintenant. Toutes les analyses ne rendraient pas ce qui se détruisait sous nos yeux. Et chacun ne pouvait que réagir selon des paramètres qu’il est difficile d’expliquer. Il ne sert à rien à ce moment de critiquer les réactions.

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Et puis tout s’est emballé dans le n’importe quoi, dans les créations de cagnottes de toutes sortes, d’appels aux dons. Comme s’il fallait montrer que l’on est plus généreux que les autres. Dans ce concours de bites, les milliardaires s’y entendent et voilà les nôtres qui sortent des promesses de 100, 200 millions, alors qu’ils étaient si frileux à sortir leurs bourses pour redresser les finances du pays (80-100 milliards d’évasion fiscale, rappelons le, qui permettraient bien des choses) ou même aider leur prochain. La charité chrétienne est sélective, apparemment. Lorsque je fais des dons, je ne les affiche pas partout, question d’éducation sans doute. On oubliait juste que le mécénat sert aussi de niche fiscale et que ces promesses étaient plus là pour faire un beau lavage de conscience, un “emotion washing”. Cela ressemblait à un concours d’exilés fiscaux, de dé-localisateurs d’entreprise, de pollueurs même. Quand on pense qu’un petit ISF aurait rapporté 5 milliards, dans le même temps, répartis entre toutes ces grandes fortunes et pourrait servir au financement des monuments en danger (de plus en plus nombreux) autant que des hôpitaux ou des ponts, ou dans les salaires des … pompiers. Je serai fier de montrer que je participe à cela si je le payais, non ? Ah non, les voilà plutôt à privatiser un monument national par leur mécénat, à coller bientôt des calicots sur la façade pour montrer leur générosité. Il y a eu déjà cet effet pour d’autres catastrophe où les dons deviennent trop important par rapport au besoin et où il faut gérer aussi la répartition sur d’autres sujets prioritaires.

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En rigolant, je parlais de renommer Notre-dame de Paris comme les stades et salles de concert : La Cathédrale LVMH-Emirates de Paris ? Allez savoir jusqu’où ira l’indescence… L’incendie de Notre-dame s’est éteint et l’émotion est redescendue peu à peu, au point de nous faire reprende un peu conscience des paradoxes de notre société moderne. Il n’y a pas le seul fait d’être capable de conquérir l’espace sans savoir protéger sa planète ou mieux, ses monuments. Il y a simplement le fait de privilégier le marketing caritatif à l’intérêt commun. 100 millions d’un milliardaire, c’est quoi ? C’est par exemple de quoi faire vivre à l’abri pendant un an pour plus de 5000 personnes. Mais l’instrumentalisation de l’évènement n’est pas terminée. Je n’ai pas trop entendu le fait que cela arrive avant Pâques, la fête de la résurrection de Jésus. Je craignais que l’on nous sorte encore de la symbolique chrétienne à tout va. Cela n’a pas raté avec Notre-dame vue comme un symbole d’un pays à reconstruire, comme si nous étions au sortir d’une guerre. Il faut savoir raison garder et reprendre le sens des priorités. L’union sacré a bon dos mais elle reste sélective chez les puissants. Les dons à l’église ont souvent servi à se racheter une conscience, depuis le moyen-age, ce que l’on nomme conversion du pêcheur. Il doit y en avoir des péchés à se faire pardonner pour une centaine de millions.

Dans la semaine, nous avons eu droit à des adaptations du chef-d’œuvre de Victor Hugo et parmi elles, la comédie musicale de Richard Cocciante et Luc Plamondon, très populaire à l’époque. Elle résonnait étrangement alors que cela a déjà 20 ans. J’écoutais les paroles, terriblement actuels, parlant des gueux, de ceux qui viennent de loin et qu’il faut accueillir. L’humaniste Hugo parlait aussi du beau et du hideux, de cette beauté souvent cachée, de cette bonté d’âme mais aussi de la religion, de la manipulation des foules. Puisse ce moment faire relire le livre, déjà et mieux encore le comprendre. Les ventes explosent chez les éditeurs qui se disent prêts à reverser une obole. Cela tombe bien, c’est libre de droit, du moins dans les éditions non commentées, comme celle de Feedbooks. C’est là qu’on se rappelle que le vrai titre était Notre-dame de Paris - 1482… Les mots aussi traversent le temps, souvent plus solidement que les bâtiments, et plus encore que les films qui se démodent. De Lon Chaney à Anthony Queen en passant par Charles Laughton ou même Disney, il y a autant d’interprétations mais un seul texte. Il y a tout notre imaginaire de lecteur aussi, comme il y a eu notre imaginaire de spectateur de cet instant. Je repasserai très bientôt devant et autour du monument, après avoir été touché par d’autres choses, sans doute bien plus meurtri par la vie d’ici là. Notre-Dame devrait nous rappeler nos drames, au delà du sien.

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Ecrit le : 20/04/2019
Categorie : reflexion
Tags : blog,Culture,politique,Réflexion,religion

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