Réflexion - Pyramides

Ce billet ne va pas parler d’Egypte ou de civilisation pré-colombienne et encore moins de la station de métro parisienne, mais plutôt des organisation pyramidales que l’on rencontre si souvent… A commencer par celle du “grand débat” lancé en France.

En effet, dans le grand flou organisationnel de ce machin laissé aux bons soins du gouvernement, puis de deux ministres, puis d’un collège de personnalité, puis de corps intermédiaires administratifs pour la synthèse, puis des députés, des maires et enfin des citoyens (mais pas tous…), nous voyons se dessiner une grande pyramide. Elle peut être bancale car les fondations ne sont pas aussi solides partout et surtout sa structure est une lettre d’intention avec 35 questions fermées qui orientent passablement les réponses souhaitées. Nous nous trouvons dans une vision bien utopique de la remontée d’information, ou volontairement biaisée, ce qui rend le résultat potentiellement dangereux car non crédible.

Du fait de cette fameuse lettre, mal reçue, mal diffusée aussi, mais aussi du fait de précédent dont les citoyens n’ont pas vu la couleur (souvenez vous des questionnaires Balladur en 1994…), le volontariat souhaité sera faible et surtout bien différent de la cible nécessaire, cette “foule haineuse”, ou encore cette “majorité silencieuse”. Traditionnellement, ce sont les personnes âgées, celles qui votent le plus, qui participent le plus à ce genre de consultation, de réunions publiques. Ce sont aussi les personnes les plus volubiles, extraverties qui risquent de monopoliser la parole, les autres préférant l’écrit, ces fameux cahiers de doléances ou un formulaire en ligne. Même le tirage au sort ne peut être une solution sans un accompagnement efficace. Et c’est là que l’on peut faire le parallèle avec le fonctionnement d’une entreprise. J’ai déjà parlé des réunions et de l’animation d’un groupe de travail, notamment à travers la problématique de la réunion “skype”. Il y a différentes catégories d’individus qu’il faut savoir gérer, entre les leaders, les perturbateurs, les timides, les suiveurs. Nous l’avons vu déjà dans les groupes de “gilets jaunes” où la plupart des médias ont fini par s’intéresser aux perturbateurs et aux leaders, les autres disparaissant peu à peu dans le brouhaha, même si on continue de les interroger dans les reportages. D’ailleurs l’exercice du “micro-trottoir” est aussi une mise en scène puisque dépendant du lieu et des profils choisis (le top étant ceux de M6 devant son siège de … Neuilly, ah ah ). La remontée d’information et l’information synthétisée peut s’avérer biaisée par cela, surtout pour des personnes pas toujours expérimentées, ou … qui ne sont pas que des animateurs mais font aussi passer leur propre opinion car il faut toujours dissocier les deux.

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Le risque d’une telle organisation est le “Filtrage”. Qu’il soit volontaire ou pas, il existe. On choisit déjà de faire passer un certain nombre de sujets sur la masse de ce qu’il y a. Comme dans un brainstorming, un métaplan, on classe dans des catégories, supprimant des détails qui peuvent être pertinents. D’une idée très détaillée, on peut parfois arriver à une phrase vide de sens si on n’y prend pas garde. Mais dans l’entreprise, la remontée d’information, et notamment de problème, c’est s’attirer des problèmes. Combien de hiérarchiques filtrent, déforment des remontées de problèmes pour ne pas être perçus comme de mauvais managers par leur propre hiérarchie ? Combien de fois ai-je vu des problèmes connus ressurgir à nouveau dans un jalon de projet plus tardif parce qu’il n’a pas été traité en temps et en heures ? Il faut avancer, ne pas générer de retard et pourtant la résolution plus tardive sera plus coûteuse encore car pouvant remettre en cause tous les moyens mis en place en aval. De plus, ces remontées du personnel peuvent être aussi accompagnées de propositions de solutions qui sont chiffrables, débattables. Dans notre cas de débat national, si on imagine qu’un groupe a une solution intéressante, comment ressortira-t-elle de la masse avec autant de strates et du fait que le flux n’est que remontant et pas bijectif?

La bataille des Pyramides d’Antoine-Jean Gros 1810

Nous sommes ici plus proche d’une Remontée clientèle, toujours pyramidale mais qui peut prendre plusieurs formes. Il ne s’agit pas d’une remontée de solutions mais de problèmes. Imaginons que la remontée se fasse à l’antenne locale, au distributeur d’une marque. L’information est remontée à un service qualité ou un SAV central, un service de garantie. S’il n’y a que quelques cas, on traite normalement par un remboursement, une offre commerciale, le refus si c’est coûteux, etc… Mais s’il y a beaucoup de cas qui apparaissent, cela nécessite une enquête, une remise en cause d’un outil de production, d’un fournisseur ou même parfois un abandon de produit qui devient peu fiable, dangereux…Même s’il s’avère très rentable. Dans notre cas de grand débat, on peut citer des sujets comme l’ISF, le référendum citoyen, la fraude fiscale… qui sont des propositions de solutions, des remises en cause mais pas forcément des problèmes, ceux-ci étant le fait de travailler en restant pauvre, d’avoir besoin de sa voiture pour son travail sans pouvoir la renouveler, de faire de plus en plus de distance pour des services publics, l’attente plus importante dans les hôpitaux et la baisse de la qualité des soins, etc… Dans le monde de l’entreprise et de la remontée client, on peut citer des crises comme celle de Lactalis, celle de Volkswagen, etc… Trois éléments entrent en compte : La rentabilité, le risque judiciaire, l’image. Dans le cas du grand débat, c’est évidemment différent, quoique la rentabilité d’une mesure persiste (quand on veut bien la calculer…), que l’image liée à une mesure soit importante, mais le risque n’est plus judiciaire mais celui d’une révolte, d’un coup d’état. Attention à ne pas négliger des signaux faibles qui peuvent se dissoudre dans le reste… même dans le monde feutré de la diplomatie (voir cet entretien en podcast)

Le défaut de donner de grandes catégories est justement de ne chercher que des signaux forts comme le “besoin de justice sociale”, “le besoin de services publics”, “moins payer d’impôts”, “plus d’écologie”, “moins d’Europe”, ce qui ne veut pas dire grand chose. On en arrive même à l’impression que l’on veut tout sans rien payer, ce qui est loin d’être le cas lorsque l’on va chercher ces fameux signaux faibles. Dans les remontées sur l’ambiance d’une entreprise, il peut y avoir aussi du mal-être, du découragement, l’envie d’être mieux payé et ce ne sont les signes apparents de symptômes plus profonds, de ce qui peut paraître des détails, comme l’environnement de travail. Cela peut être le manque de visibilité sur la transformation d’une entreprise, par exemple, l’inquiétude sur l’avenir de toute une filière, ou le sentiment d’être délaissé, ignoré. Le risque ensuite est de perdre l’esprit de groupe pour un individualisme exacerbé.

Attention, ceci n’est pas une pyramide mais un cycle en V...

La structure pyramidale et les différentes remontées de groupe ne fonctionneront que par un esprit de groupe, un consensus possible, une certaine homogénéité. Si un groupe a trop d’individualisme, on risque de ne pas trouver de consensus sur les remontées, chacun voulant traiter son cas personnel plutôt que l’intérêt du groupe. Dans une société qui oublie de plus en plus l’intérêt commun, qui fait disparaître la solidarité et fait la promotion de la réussite individuelle, c’est un risque considérable. Dans mon activité professionnelle, bien que n’étant pas décisionnaire, je constate cette destruction du groupe dans mon ancien service. Je ne peux m’empêcher de réfléchir à des solutions pour le restaurer. Il y a de la défiance entre les uns et les autres, de la jalousie, chacun pensant faire des efforts pour les autres mais perdant de vue l’intérêt de l’équipe, des clients, etc. Personne ne travaille avec personne et pourtant la structure a été voulue plus pyramidale que par le passé.

La pyramide du capitalisme, caricature de 1911

J’observe par ailleurs que se développent dans les entreprises des structures plus horizontales avec des méthodes de groupe pour la résolution de problème, le fonctionnement en projet, avec de l’autonomie… Cela ne se fait qu’avec une certaine maturité chez les participants. On ne passe pas d’un claquement de doigt d’une organisation à une autre. On ne demande pas du jour au lendemain à une personne habituée à être dirigée pour tout, à gérer par elle même un projet, le structurer, le jalonner. Pourtant, dans notre France pyramidale, nous retrouvons dans de nombreux lieux tenus par des “gilets jaunes”, des sortes de groupes de travail dont il émerge des idées, des résolutions de problèmes, des solutions à des problèmes sociétaux. Comment faire pour passer de ces petits groupes jusqu’au sommet de la pyramide en oubliant la condescendance habituelle d’une partie de l’élite administrative ? C’est tout le défi rencontré aujourd’hui. C’est repenser la hiérarchie, ne pas avoir des représentants immuables mais peut-être plus périodiques, voir aléatoires parfois, à condition que l’état d’esprit change.

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Source: James Davies, Rodrigo Lluberas and Anthony Shorrocks, Credit Suisse Global Wealth Databook 2016

Car chez nous autres humains, nous avons des dogmes, des croyances que l’on croit immuables et qui nous font abandonner des idées. Si je schématisais, je pourrait citer que “les riches sont des escrocs en puissance”, “les pauvres sont des fainéants voleurs”, “les politiques sont des pourris”, “la presse est à la solde des puissants”, “les fonctionnaires sont des fainéants absentéistes”, j’en passe… Ces caricatures que l’on entend très souvent en ce moment empêchent tout dialogue dans un groupe. Si chacun trouvera un exemple un jour pour prouver ces dires, c’est faire une généralité d’un cas particulier. Et c’est d’autant plus grave quand on entend ce discours venant du sommet de la pyramide, ce qui finalement crée du ressentiment de la base de l’édifice. On comprend vite que sans base, l’ensemble ne tient pas. Aujourd’hui, la pyramide est fissurée de part en part et pourtant il y a aussi des motifs de satisfaction dans l’autogestion qui est ressortie. Une autogestion qui ne marche pas toujours (cf le Logiciel libre, par exemple, hum… ? )

Mais la tendance est aussi de tronçonner les bases des pyramides des entreprises, les bords, pour se “recentrer sur le coeur de métier”. Toutes les activités tertiaires, de service autour du métier en font les frais. Les emplois “non qualifiés” sont aussi sacrifiés à cette règle. On sous-traite en demandant des économies d’échelle, plus de productivité ce qui se répercute à la fois sur les employés des sous-traitants ou les auto-entrepreneurs que sont devenus les anciens employés. Mais c’est bien le client qui en paie les frais… qualitativement. Qui n’a pas de problèmes de livraison de colis, de déterioration car on demande plus de livraisons que possibles aux livreurs sans tenir compte des effets extérieurs (intempéries, embouteillages des heures de pointe…). Plus récemment, j’ai eu aussi un de ces effets de bord chez ma belle mère (80 ans, ne se déplaçant plus…) : Le vendredi soir, plus de chauffage. On craint d’abord une panne de chaudière et on parvient à faire venir un plombier chauffagiste qui s’aperçoit qu’il n’y a plus de gaz. Il faut vérifier avec la tutelle si tout a été réglé, quel est le contrat etc… Pas joignable le week-end. Le lundi matin, le beau-frère sur place parvient à mettre la main sur le gardien (lui aussi faisant de plus en plus d’immeubles) pour voir du côté compteur : Eureka c’est un compteur neuf qui n’y était pas. Il est à 0 et le robinet est fermé. Appel à Engie qui fait appel à un technicien devant venir sous 4h… Qui constate “qu’une fois de plus”, il y a eu un problème dans la mise en place du compteur. Ouf tout refonctionne et je pense qu’on aurait du taper directement chez tout le monde dès le vendredi maintenant. Heureusement, il ne faisait pas encore trop froid.

Dans l’exemple ci-dessus mais aussi dans les mésaventures que rencontre Cyrille, on voit aussi qu’il manque de la gestion de sous-traitance, du pilotage qualité. Le client attend souvent le gros blocage pour remonter les problèmes qui pourtant étaient présents en signaux faibles. Il y a un besoin d’échange entre le client, l’exécutant et le pilote de l’activité et ça ne vient pas tout seul à travers des “indicateurs”. Il faut de l’humain, des paroles, des poignées de main, etc… Avec de moins en moins de monde pour cela, on l’oublie et on considère que l’on peut même multiplier des exécutants à bas coût (donc mal formés) plutôt que de privilégier le pilotage et la qualité de prestation. On le voit dans les call-center délocalisés par exemple, voir maintenant robotisés. Et maintenant on nous imagine même des réponses au déserts médicaux en télé-médecine, quand déjà les médecins ne sont pas formés à la “médecine de ville” dans leur cursus hospitalier. On a juste oublier l’aspect humain et le désert numérique, ce terrain où les clients ne savent juste pas utiliser les outils.

C’est souvent là où l’on voit que la structure pyramidale a failli dans sa remontée de la réalité vers le sommet. Je suis toujours surpris de voir que lors des visites d’usines par les dirigeants, tout est fait pour ne leur montrer qu’une sélection aseptisée de services avec des employés souvent triés, briefés. Il ne faut surtout pas voir de problèmes et “tout va très bien Madame la marquise” disait la chanson. Il ne vient pas non plus à l’esprit de ces dirigeants de sortir de ce parcours. Et on voit des émissions de télé comme “patron incognito” où l’on met en scène le gentil patron qui découvre le terrain, ce que subissent les employés, une opération communication qui ne remet pas en cause le fonctionnement de l’entreprise, l’état d’esprit… à peine quelques formations et augmentations parfois.

Ah, s’il existait une solution idéale à tout ça, entre autogestion totale et structure pyramidale. Malheureusement, il y a autant de solutions qu’il y a de diversité de caractères chez les individus que nous sommes. L’erreur est toujours de vouloir appliquer des solutions toutes faites, souvent liés à une culture locale, du pays ou de l’entreprise, et d’oublier la souplesse et l’adaptabilité aux situations. Dans mon exemple d’entreprise, les personnels de mon service ont changé entre des gens habitués à bricoler et dépatouiller seuls les problèmes, remplacés par des gens de production, appliquant des gammes de travail. On l’a simplement oublié et pourtant les bases sont là derrière un blocage souvent psychologique dur à supprimer. Ce n’est certainement pas par l’insulte que les “gaulois réfractaires” qui “déconnent” et coûtent un “pognon de dingue” vont rentrer dans le rang ou fonctionner de concert pour faire avancer les choses. Il est beaucoup plus rapide de casser une machine que de la réparer et que ça soit dans la machine “France” ou celle d’une entreprise, il y a bien plus que de l’huile à mettre dans les rouages que nous sommes. C’est parfois aussi l’occasion d’une remise à plat, sans à priori sur toutes les solutions, où ceux qui ne se rencontrent jamais se parlent. Mais pour cela, la pyramide doit d’abord être reconstruite, et que plus qu’entendre, il y ait de l’écoute, de l’ouverture d’esprit. Les récents débats télévisuels et présidentiels ressemblaient plus à des dialogues de sourds…. Une solution, se décrasser les oreilles ?

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Ecrit le : 26/01/2019
Categorie : reflexion
Tags : blog,entreprise,france,granddébat,politique,Réflexion,société

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