Réflexion - Vieillir et ... être heureux

C’est officiel dans quelques jours, je suis un … Vieux. Oui, il y a des signes qui ne trompent pas mais ce n’est pas une raison de s’attrister !

Les signes ? Et bien déjà j’ai ma première médaille du travail, celle des 20 ans ce qu’on peut considérer comme la moitié du parcours aujourd’hui à quelque chose près. Et puis j’entends parler de groupe.s chanteu.se.rs dont j’ignore et le nom et ce qu’ils font. M’en fout ! Je peux faire la même chose avec ceux que j’apprécie auprès des plus jeunes. C’est comme se sentir seul en comprenant les références à Scary Movie… Autre signe, les idoles de jeunesses qui commencent à mourir comme les moucherons contre le pare-brise sur l’autoroute…Encore que les moucherons sont aussi moins nombreux qu’avant. Et puis le corps qui récupère moins vite. Ou les parents qui voient ou attendent le passage de Madame la mort (pourquoi madame, tiens…). Ok, ce n’est pas super-réjouissant au premier abord, ce sujet. Mais on ne peut rien y faire, ça arrive. Autant bien le vivre.

Il y a quelques semaines, Cyrille et autres parlaient du fait de ne plus avoir les compétences pour ce qui se fait aujourd’hui en informatique. Je pourrais généraliser pour d’autres techniques mais cela tient à la volonté de passer du temps à faire de la veille technologique. J’ai eu la même remarque quand, il y a un an, j’ai voulu refaire du LabVIEW, un environnement de développement spécifique au monde de la mesure. Oh, j’étais doué quand j’ai passé mon dernier diplôme et on était à la version 4.0 je crois. Le produit a 33 ans ! Il en est à la version 19.0 et c’est devenu une usine à gaz que j’ai du mal à appréhender, ne serait-ce que par le poids des bibliothèques. Je veux bien utiliser du logiciel propriétaire mais je ne suis plus prêt à avoir une machine de compet rien que pour ça. J’ai retrouvé un peu mes marques au début mais je n’avais ni le temps, ni même l’envie de me relancer là dedans, d’autant qu’on a trouvé d’autres méthodes pour le même résultat. Bilan, mes idées d’automatisation, de rationalisation sont parties aux oubliettes, d’autant qu’après j’ai changé de poste et de challenge. Et j’ai même l’impression que c’est déjà un produit du passé car on sait faire aussi bien avec les microPC dédiés mesure plutôt qu’essayer de piloter des machins de plusieurs provenances.

En vieillissant, tu peux avoir parfois l’impression de courir sans arrêt après le progrès, les nouveautés, ou bien tu peux prendre le temps d’observer, de faire parler ton expérience dans les choix. Au fond, si j’ai abandonné l’idée LabVIEW, c’est que je savais qu’il n’y aurait personne après moi pour maintenir cela opérationnel, qu’il faudrait se taper des licences et des évolutions sans arrêt. Donc j’ai plutôt regardé ce qui était “à la mode” ailleurs, avec des capacités d’évolution et des connaissances chez des nouveaux embauchés. Cyrille parlait de son prestataire qui ne connaît pas Yunohost, Nextcloud ou autre… Effectivement, on n’est pas aidé pour imposer des solutions libres lorsque l’enseignement fait appel à des produits Microsoft. Et si localement on peut avoir de bonnes surprises avec quelques pôles d’entreprise du libre, il y a malheureusement peu de chance de libérer l’informatique aujourd’hui dans l’entreprise. C’est un combat d’arrière garde quand tout ne peut se faire qu’avant, dans l’enseignement. Je ferme ma gueule sur ces choix… Mais je cherche à mettre en place des solutions simples s’appuyant sur ce que connaissent le plus grand nombre de personnes, avec la possibilité de migrer, d’exporter, de transformer. Pourtant au fond de moi je suis persuadé qu’on rasera tout ce que j’ai fait à mon départ pour refaire tout autrement sans prendre le temps de relire toutes les explication que j’ai laissées. Imaginez si je ne laissais rien ?

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Paysage pastoral avec un berger et une bergère au repos- Jean-Honoré Fragonard 1756

L’âge c’est l’expérience, ce truc qu’on ne mesure pas, qu’on ne paye plus beaucoup mais qui aide pourtant bien quand on n’est pas fermé aux autres. Je peux citer des exemples d’échecs de projet pour dissuader de prendre des solutions, mais je peux aussi les utiliser pour améliorer ce que l’on propose. L’âge ne fait pas perdre le goût du challenge, c’est sûr. Je connais plein de jeunes qui ne l’ont pas du tout et attendent que ça viennent tout cuit quand d’autres ont le goût pour faire l’impossible, ce machin pas français mais dont j’ai quand même l’impression qu’il le devient. ce goût du challenge, de l’inconnu et du défi, finalement, on l’a ou pas, quelque soit l’âge, le diplôme. Ah, attendez… Je vais bifurquer sur la politique là. Car là aussi l’âge a son importance et peut être un leurre.

Aujourd’hui, je ne suis pas très heureux de la tournure que prend ce pays, entre le choix de la France rance et de … la France rance. Conservatisme rétrograde d’un côté et conservatisme raciste de l’autre, le choix n’en est plus un car la stratégie de l’un est de n’avoir qu’un perdant naturel comme alternative et de détruire les autres alternatives. Oh, je reconnais l’habileté du roitelet dans cette chose là. Je fais justement appel à mon âge, mon expérience pour comprendre et décoder ce qui est dit, est fait. Je ferme volontairement les médias de toutes sortes quand je vois que c’est un matraquage d’une information pour masquer une manœuvre politique, ou pour orienter l’opinion. On a eu le voile, on a les violences en banlieue, les quotas d’immigrés et on peut maintenant analyser la gestion de la crise des gilets jaunes et des manifestations. Malheureusement ce réflexe de prendre de la hauteur et du recul, de ne pas se laisser porter par l’actualité et l’infobésité n’est pas courant chez mes concitoyens, mes proches même. Et en même temps, j’en connais qui , bien que lucides, attendent patiemment le chaos. Je n’ai plus vraiment le cœur à essayer de convaincre aujourd’hui. Ça aussi c’est l’âge. Que dire à des gens qui ne connaissent le monde que par une ou deux chaîne, un ou deux réseau social et des rumeurs !

Je n’ai pas plus le cœur à faire de la pub pour le blog, à partir guerroyer sur les réseaux sociaux ou sur des forums, à faire du militantisme, du prosélytisme. Vieillir c’est trouver son bonheur dans la proximité, dans des choses plus simples. Je commence à comprendre mes parents qui jardinent alors que je ne trouve pas assez de temps pour le faire. J’ai déjà fait le rejet de mes pratiques passés, ma consommation effrénée et je rejette catégoriquement le streaming continuel qu’on m’impose partout (les offres Free ADSL / Fibre par exemple ) pour prendre le temps du choix, réduire… Je commence seulement à ne voir les biens matériels que pour ce qu’ils sont. Il y a aussi le fait de ne pas se focaliser sur ce que l’on peut renvoyer comme image, de ne pas penser au regard des autres et ça, c’est aussi le piège des réseaux sociaux, de faire penser que c’est l’image qui importe. E-réputation ou image numérique ne sont que futilités. En réalité, même avant les réseaux sociaux, c’était déjà un piège. Mettre ça de coté, et ça ne fait qu’améliorer sans pour autant vivre égoïstement, sans oublier de prendre soin de soi ou sans oublier le partage. Vous verrez dans mon bilan de l’année que je lis et vois beaucoup (ndr : pas bois… vois). Il faut prendre le temps alors que paradoxalement en vieillissant il semble de plus en plus compté.

C’est un peu comme aller en vacances le plus vite possible avec l’avion, visiter le plus de monuments possibles pour faire des clichés pour instagram et autres et se la péter… Ou bien prendre le temps du trajet, de ressentir les atmosphères, de rencontrer les lieux, les gens et se concentrer sur moins de choses. Vous l’aurez compris, je n’ai pas été et ne serai jamais client des tour-operators, des voyages all-inclusive et des resorts, comme on dit. J’aime souvent prendre le temps sur des petites routes, ne pas suivre l’itinéraire principal pour tomber sur quelque chose que je ne connaissais pas. J’ai mis trop de temps à prendre les choses ainsi, du moins à mon goût. J’ai coché suffisamment de “rêves” pour me dire que s’il m’arrivait malheur, j’aurais plutôt bien réussi cette vie là. Bref, si demain je partais, ma seule angoisse serait vers mes proches et leur capacité à vivre après… Ça se prépare aussi.

Petit aparté sur l’aspect santé… J’ai regardé ce que proposait le DMP (Dossier médical partagé), quelque chose qui permet de faire suivre ses informations de santé, en théorie…Mais qui au final recèle des dangers et trop de complexité pour ceux qui en auraient le plus besoin… Les personnes âgées. Déjà pour créer cela, c’est un parcours du combattant avec des codes et vérifications dans tous les sens mais ça reste logique et sécuritaire pour quelqu’un qui a l’habitude. Mais arrivé dans l’interface (qui a évolué complètement en 1 an au point d’avoir perdu ce qu’il y avait !), on voit qu’il n’y a aucune remontée d’information des organismes et praticiens. La gestion de la confidentialité est trop basique d’un côté pour un initié, trop complexe de l’autre pour un néophyte. Et je me retrouverai à devoir scanner et mettre moi-même des documents utiles mais qui seraient mal classés parmi tous les termes possibles dans les dossiers. Déjà qu’il faut un deux semaines minimum pour créer le truc et avec tous les bugs de la Sécu, je prédis un enterrement de première classe pour un truc qui aura coûté des millions. Car comme souvent, on a oublié le client/patient, les services en relation dans une chaîne bien compliqué alors que du temps, il y en a eu pour penser à l’édifice.

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*Simple sur le papier… mais rien ne fonctionne. *

J’ai déjà abordé le problème de la temporalité bien des fois sur ce blog au point d’avoir l’impression de radoter. La quarantaine, c’est la prise de conscience de sa mortalité quand avant on se sent invincible. On est entre deux eaux encore, entre le sentiment de l’urgence qui pousse à faire le maximum de choses et le sentiment que l’on a encore droit à pas mal de bonus pour prendre le temps de vivre vraiment. Cette temporalité s’applique technologiquement aussi avec l’envie de profiter de ce que l’on a plutôt que changer pour la nouveauté. Je vois que j’ai pas mal de matériels anciens, du PC jusqu’à la voiture et je n’ai aucune envie de changer pour changer, de consommer selon des injonctions, même écologiques. Car fabriquer encore et encore, transporter, ça a un coût environnemental. Sans doute aussi parce que les nouveautés n’envoient pas beaucoup de rêve non plus dans un époque qui en manque beaucoup.

L’article s’adresse plus favorablement à des personnes qui approchent ou ont dépassé la quarantaine mais c’est aussi intéressant de se poser ces questions plus jeune. Comme je l’ai dit, j’ai pas mal profité avant et j’en suis heureux. J’ai des regrets, forcément mais j’ai appris à les ranger dans un petit tiroir que j’ouvre le moins souvent possible. Est-ce que j’aurais fait si différemment en sachant ce que je sais aujourd’hui ? J’en suis à peu près sûr parce que j’aurais osé un peu plus sans forcément trop dévier, mais on tombe là dans un paradoxe temporel insurmontable. Avec des si… Aujourd’hui je vieillis plutôt bien, avec des échéances dans la tête, des malheurs prêts à surgir à tout moment mais que j’assume déjà. Certains les ont vécus bien plus tôt que moi sans cette chance donnée par le temps.

L’autre jour, un collègue posait justement la question fatidique autour d’un café : “Et si vous aviez su votre futur dans 25 ans, auriez vous fait pareil à 18 ans que ce que vous avez fait ?”. Derrière cette question, est-ce que je suis satisfait de ma vie professionnelle, personnelle, de mon couple ? J’ai été étonné d’en entendre autant dire qu’ils ne se seraient pas mariés, qu’ils n’auraient pas eu d’enfants (bon là, je suis d’accord…). Oui bien sur, j’essaierais d’éviter quelques erreurs, si je savais. Mais est-ce qu’il n’y aurait pas eu d’autres obstacles ou pire ? Les regrets sont maintenant derrière moi, je l’ai dit, bien rangés. J’ai vu de la tristesse et de l’angoisse dans des regards et j’en vois de plus en plus. Moi même, je n’ai ni le sentiment d’avoir tout vu, ni l’inverse et j’ai toujours plein d’envies, tant personnelles que professionnelles, malgré l’avenir que je ne vois pas très joyeux non plus. Ce qui doit arriver, arrivera …!?

Je n’aurais pas forcément dit ça il y a un an, ou pas comme ça. J’espère pouvoir le dire longtemps évidemment. Nous sommes dans une société qui met le seuil de vieillesse de plus en plus jeune, malheureusement, en pensant que rapidité et énergie sont les facteurs de plus grande valeur. Cela commence à changer pourtant et je vois des petits signes, des frémissements. On commence lentement à revenir au local, à l’analogique, au vrai relationnel. A ce sujet on devrait imaginer plus souvent notre vie sans électricité, sans internet, juste au cas où… Ça remet les pieds sur terre, je vous l’assure. Coupez le jus et la box chez vous et regardez qui s’en sort le mieux. Vieillir ce n’est pas refuser le progrès, c’est mieux le comprendre et le choisir plutôt que le subir. Alors quand je parle de veille technologique, de ne plus suivre toutes les évolutions mais seulement certaines, ce n’est pas devenir “has been”. Vieillir c’est pour moi utiliser l’expérience pour anticiper ce qu’il y a après. C’est parfois se planter mais savoir réagir. Et pour cela, utiliser son temps, cette nouvelle temporalité pour mieux… vivre !

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Mettre Prince et Fragonard dans le même billet, c’est pas la classe ?


Ecrit le : 16/11/2019
Categorie : reflexion
Tags : blog,Réflexion,vieillesse

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