Blog - Si..., je serais mort

Cela fait un moment que madame et moi nous disons que nous serions peut-être mort si nous avions vécu notre adolescence aujourd’hui. Cela peut paraître provocant de dire cela mais la cruauté de cette période de la vie n’est pas d’aujourd’hui.

Forcément, un évènement récent dans ma ville de naissance a fait beaucoup parler. On a eu droit à l’éternelle ritournelle “la faute aux réseaux sociaux”. Et si je pense que ça se serait mal terminé pour moi, c’est forcément à cause des possibilités de communication décuplées par tous nos outils d’aujourd’hui. Mais ce n’est pas la cause racine, justement, sinon je n’aurai pas ressenti la cruauté de l’humain, alors. Je n’aurai pas eu le sort de cette jeune fille, et pourtant.

Jusqu’au collège, tout allait bien pour moi. Mais c’est pendant le collège que ça a commencé à se gâter : D’abord une “agression” en 6ème pour des bêtises et j’avais tout fait pour éviter une confrontation avec un individu violent. Puis des camarades qui vivaient mal cette période et profitaient de leur “physique” pour se venger de moqueries par des coups aux autres, qui se moquaient aussi du physique de leurs camarades. Des moqueries envers ceux qui n’étaient pas à la mode, ceux qui avaient des difficultés, qui étaient différents (on ne parlait pas d’autisme à l’époque mais…) . Et j’ai vu les effets de groupe quand on veut trouver une victime, j’ai vu ceux que j’appréciais dans le primaire changer pour se fondre dans un groupe et devenir moqueurs, violents, méchants. J’espère ne pas avoir été un jour un tortionnaire, ou même un persifleur. Je ne pense pas l’avoir été sinon par malentendu. Qu’on ne me dise pas qu’enfance=innocence. Ce n’est pas vrai pour tout.

J’ai eu un jour un accident et des rumeurs ont circulé autour de ça. Au point que l’une de mes professeurs a téléphoné un soir à mes parents. Je vivais ça encore pas trop mal, comme si je m’étais préparé à ça, comme si je me doutais que c’était mon tour d’être la “tête de turc” (expression qui rappelle aussi le racisme) et qu’il fallait que ça passe. Ça a duré presque un an avant que ce soit oublié. Mais voilà, j’avais mon comportement “différent”, pas dans un groupe, alors forcément j’en ai entendu ensuite dans le lycée. Cela a forcément joué sur mes résultats mais après tout, c’est aussi ça l’adolescence, ce mal-être. Toutes les rumeurs, les petites insultes envers moi ou d’autres ne se propageaient que par des conversations, parfois chez ceux qui se retrouvaient le midi à la cantine ou au pire des petits papiers qui se passaient de main en main. Réseaux sociaux avant l’heure…

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Head of a boy - Francis Bacon

J’imagine aujourd’hui certaines scènes de ce passé avec les moyens que chacun a, notamment la possibilité de faire des photos et de les diffuser. J’imagine ce qui se passerait maintenant pour ces moments dans les vestiaire des “mecs” les rares fois où nous sommes allé à la piscine, car il y avait des moqueries envers certains, sur le physique, les vêtements, la pudeur. J’imagine ce que ça aurait pu donner avec des photo-montages facilités comme on peut voir aujourd’hui. J’imagine “ma rumeur” propagée par SMS ou par réseaux sociaux avec ma tronche qui resterait sans mon autorisation accolée à des insultes. J’imagine toutes les conneries d’ados qui se jettent sur quelqu’un pour lui enlever son pantalon et l’humilier avec une vidéo en plus maintenant. J’imagine ce qu’il en aurait été sur Insta, Snap, TikTok, Telegram, … J’imagine aussi que mes parents ne m’auraient pas donné de smartphone avant peut-être 15 ou 16 ans, ce qui n’aurait pas changé le problème, voire l’aurait accentué car je n’aurait que “fantasmé” sur ce qui était dit sur moi. Pour Madame, cela aurait été du même genre, le racisme en plus dans un milieu qui “lavait plus blanc”. (c’est merveilleux les quartiers bourgeois parisiens)

Ce que j’imagine moins, c’est la solution et elle ne passe clairement pas par la suppression de ces moyens de communication, définitivement intégrés. J’en entends des imbécilités prononcées sans réfléchir, des comparaisons hâtives sur le niveau de morale supposée, l’évolution de la société, sa violence qui progresse. En réalité, la société est violente depuis la nuit des temps, mais on en décuple l’impact en accentuant l’effet de groupe, de masse, ce phénomène qui rend l’humain encore plus con qu’il n’est au départ. La perte de repère, le manque de punition? Bof, pas vu tant de changement que ça. Peut-être bien avant alors quand on parlait châtiments corporels mais là on tombe dans l’excès inverse avec d’autres conséquences (perpétuation de la violence, notamment). Et pour moi, la cause est dans la violence inhérente à l’humain. Même dès le plus jeune âge, j’ai des exemples en tête en primaire. Alors bien sûr, elle n’est pas au même niveau chez tout le monde mais nous avons tous cela enfoui en nous, cette capacité à devenir mauvais surtout avec cet effet de groupe, avec des meneurs, des exemples. Le mal est toujours plus séduisant que le bien.

Je vois qu’on parle de l’impact COVID aussi dans la situation actuelle. Il a bon dos, le virus. Ce qui est à peu près sûr c’est qu’un manque d’activité ou de stimulation intellectuelle pousse l’humain vers son mauvais côté. Je me souviens par exemple de la fin de mon service militaire (donc avec de jeunes adultes) dans une période où il n’y avait plus grand chose à faire dans notre compagnie de combat. L’adjudant nous a trouvé de l’activité car cela commençait à partir en vrille pour quelques uns et avec des accidents potentiels, l’alcool aidant aussi. Avec son expérience, il avait raison de nous emmener dans la montagne pas loin à dormir à la belle étoile, à nettoyer les chars, à préparer le défilé du 14 juillet qui se passa le …13, etc…En réfléchissant, on en trouve des choses à faire pour éviter le pire. En tout cas, on trouve mieux que le refuge d’un écran qui poussera forcément à aller vers l’interdit. Avant l’ère de l’écran, c’était autre chose donc là aussi, ce n’est qu’une multiplication des moyens et de leur impact.

Je ne connais pas de société humaine où ne surgit pas la violence à un moment ou un autre, même dans certaines société dites “primitives” que certains imaginent comme protégées des maux de l’humain moderne. Peut-être dans certains peuples nomades quand même, parce que moins attachées à la possession ? Il faudrait interroger des ethnologues mais surviennent toujours des jalousies, des rapports dominant-dominé, des envies. Elles sont sans doute exacerbées par nos sociétés modernes plus individualistes, où le narcissisme est mis en avant, où on nous pousse à soit-disant “exister”, par rapport à des sociétés où la communauté et l’entraide priment (Je reparlerai de cela dans une prochaine chronique sur les populations indiennes du Canada). J’étais du genre discret en classe mais combien de fois ai-je eu des remarques malgré de bons résultats sur le fait que je ne m’exprimais pas assez. Même au travail, on me disait que je ne me mettais pas forcément en avant, … Tout pousse à privilégier l’individu face à un groupe, même quand l’individu agit de manière désintéressée pour le groupe. Dans le cas récent cité au début, un triangle amoureux semble-t-il, une vengeance “porno”, ce n’est qu’une banale affaire de jalousie qui dérive vers une mise en avant de l’individu qui diffuse les images vengeresses, une atteinte aussi à l’image de la victime.

Et puis il y a cette différence que l’on n’accepte pas. La mienne à une époque, ce n’était pas grand chose. Je n’étais ni trop moche, ni trop gros, ni trop ci, ni trop ça, j’étais blanc dans un environnement majoritairement blanc…Le manque de vêtements ou cartable à la mode, au pire. Juste que je ne suivais pas la masse, par choix ou habitude, je ne sais. D’autres étaient les victimes pour le physique, l’habillement, leur isolement (bien plus que ce que j’ai ressenti ensuite). Personne n’intervenait pour les défendre face à la meute, ou si rarement. Une fois, une “grande” et sa sœur pour défendre un “petit” parce que ça allait trop loin. Cela se termina sans heurts. Mais jamais je n’ai vu de pions ou de profs intervenir pour cela dans la cour. Quelques remarques timides de profs vis à vis des agresseurs parfois mais ça n’allait pas bien loin. Bien moins en tout cas qu’un sermon pour comprendre les raisons de ces personnes, essayer de désamorcer cela. Et ça recommence un peu plus le lendemain… En tant que victime, on se sent coupable, on perd confiance en soi, on se sent exclu d’un groupe. Parfois on fait tout, souvent des conneries, pour retrouver une appartenance mais c’est une erreur.

Il n’y a alors personne à qui se raccrocher, du moins en apparence. Les parents ? Ils ne savent pas toujours ce qu’il faut dire ou faire. Les associations ? Ce n’est jamais facile d’admettre soi-même que l’on en a besoin. La police ? Pas assez grave pour eux. Les amis ? Quels amis !… Les profs ? Honnêtement, il est difficile de capter ce qu’il se passe, si ce n’est pas qu’une manifestation de l’adolescence. Et puis on ne veut rien dénoncer, de peur que le remède soit pire que le mal, d’être vu comme “la balance”. Un peu comme pour le fléau du bizutage, il faut du courage pour s’opposer, un courage qui se paie souvent cash. Malheureusement, c’est aussi la seule solution, ou bien se blinder en attendant que ça passe, mais ça ne peut que laisser des traces et tout le monde ne le peut pas. Je n’ai gardé aucune rancune de tout cela parce que ça n’a jamais été trop grave dans le contexte de l’époque. Dans un contexte actuel, cela l’aurait été et je ne pense pas que j’aurai supporté. Peut-être en aurai-je parlé à mes parents, peut-être que j’aurai changé de collège/lycée, qui sait… Cela aurait été plus grave pour madame, j’en suis convaincu.

Est-ce que tous les cas qui défraient la chronique servent au moins à une prise de conscience ? Passagère peut-être mais les tortionnaires potentiels s’en fichent bien, passent de l’autre côté sans même s’en apercevoir comme tout humain peut franchir les limites du raisonnable. Je suis pessimiste me direz vous ? Juste réaliste sur ma condition d’humain, le côté faillible. Il fallait que je termine par une chanson de chevet aussi et je comprends pourquoi elle me capta avant même que j’en comprenne la totalité des paroles…“Hold on, when you think you have too much of this life”.

Bande son : R.E.M. - Everybody Hurts video

Commentaires

Parigotmanchot par Mail

Quand j’étais au collège (et après lycée, peu de différences), j’étais souvent harcelés (grossophobe, intellophobie lol). Je crois qu’aujourd’hui, au collège, ça ne change pas trop, le principal souci vient des adultes sur place qui ne voient pas ou ne bouge pas. Pour le lycée, je suppose que ça a changé à cause des réseaux sociaux qui jouent le rôle d’amplification jusqu’à l’irréparable éventuellement.

Après, le harcèlement entre filles ou entres mecs, ce n’est pas pareil (les filles ont maintenant souvent un smartphone + réseaux au collège, les mecs s’en fichent un peu, le Xiaomi de mon gosse en 4è lui sert de visionneuse YouTube + console de jeu) donc il faudrait de vrais politiques différenciée, etc.

Donc des moyens, quand tu vois les féminicides et la lutte en place, tu te dit que c’est foutu. Une fois le lycée passé, l’âge adulte arrivé, le monde “Adulte” etc. le harcèlement cesse en théorie. Sauf pour les femmes…


Ecrit le : 12/06/2021
Categorie : reflexion
Tags : enfance,adolescence,réflexion,violence,

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