Réflexion - Dream Boat ou l'auto-caricature d'une minorité ?

Dans un documentaire sorti en 2017, Tristan Ferland Milewski nous emmène dans une croisière exclusivement gay. Mais ne rate-t-il pas son sujet en montrant un événement aussi caricatural qu’un reportage sur une Marche des Fiertés ? Le débat est présent dans la communauté gay. Un débat qu’on peut élargir à toute “minorité”.

C’est en regardant les commentaires internationaux sur ce film que j’ai pu confirmer les doutes que j’avais au visionnage de ce film interdit aux mineurs. Et pourtant tout n’est pas à jeter, loin de là. Mais c’est l’éternel problème de la généralisation et de la caricature quand on tente de dépeindre une communauté, une minorité…Déjà, le fait de faire un reportage ou un documentaire se confronte au coté vendeur de l’objet. Aujourd’hui, il faut du buzz, du clash, du scandale pour qu’on en parle. Et qu’importe si c’est loin de la réalité. On le voit bien dans les reportages sur les marches des fiertés à travers le monde, où l’on va chercher l’aspect le plus caricatural, les costumes, les drag-queens, etc…Mais si on élargit le sujet, on voit que c’est bien le même type de caricature lorsque l’on parle des quartiers pauvres, des chômeurs, des musulmans, des végétariens, les métaleux et j’en passe. Le fait même de prendre une croisière dans les caraïbes, même si elle réunit des gens de tous les pays, est un postulat plus qu’étrange, mais aussi une petite part de réalité. La croisière existe, comme il en existe maintenant sur d’autres thèmes, et réunit des gens dans un but précis. On se doute évidemment qu’il y a tous les éléments pour le buzz avec cette sorte de gigantesque boite de nuit flottante.

Le réalisateur fait pourtant bien son travail en choisissant des “personnages” à travers des participants de différents pays (dont les prénoms ne sont pas dits). Il y a un polonais, donc d’un pays très catholique et conservateur, qui a émigré vers l’Angleterre. Il y a un palestinien qui a fuit son pays pour la Belgique, donc avec une autre religion. Il y a un indien, Amit, qui a fuit les mariages arrangés pour vivre ce qu’il est, malgré son physique, mais se retrouve à … Dubai. Il y a un français qui en plus est handicapé mais aussi heureux en couple. Et quelques autres figures rencontrées sur le bateau. On retrouve ces personnages en interview confessions ou en discussions entre eux et c’est en cela que c’est intéressant. Ils parlent évidemment d’eux-même, de leurs difficultés à vivre leur homosexualité ou simplement leur vie avec les doutes, les histoires d’amour, de sexe. Et il y a leur propre avis sur la communauté Gay.

Ce qui frappe à la vision d’un documentaire qui date déjà un peu, c’est le stéréotype des participants à cette croisière : Musclés, torses rasés, barbes bien taillées mais pas trop drues, cheveux courts ou très courts. Comme dit l’un des participants, on se ressemble tous. Une armée de clones. Mais en même temps, il y a quelques personnes différentes, notamment notre indien qui a quelques rondeurs, n’est pas musclé à outrance mais essaie de rentrer dans le rang comme il peut. Il voit bien que par son physique atypique, il n’attire pas. Ce n’est pas une question de couleur de peau mais d’apparence. Le polonais regrette aussi ce jugement sur les apparences qui finalement n’est qu’une recopie de ce dont les gays se plaignent. Mais n’est-ce pas surtout un réflexe d’hommes ? On pourrait penser que le réalisateur a sélectionné ses images mais sur les plans larges, on remarque bien cela. Et le palestinien de parler de sa jeunesse, quand il était fin, qu’il est arrivé en Europe et a commencé à prendre soin de son corps, se muscler, peut-être aussi pour lui une envie de “s’intégrer” alors que son pays n’est pas vraiment reconnu par tous. Ce stéréotype, on le voit aussi dans d’autres communautés où le look est parfois plus important que le reste, ou l’on juge trop sur les apparences avec un ton moqueur. J’y vois alors le mauvais coté de l’humain poussé ici à son extrême.

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L’un des grands moments du film est cette petite discussion (provoquée par le réalisateur?) entre Amit resté seul dans sa cabine pendant la soirée Drag Queen et le polonais au grand coeur qui vient s’ouvrir de sa propre solitude, malgré son apparence solide. Amit travaille à Dubai où il ne peut pas plus être ce qu’il est. C’est un des drames et paradoxalement, la caricature du gay drag queen est plus subtil que cela. C’est derrière le maquillage et le déguisement que l’on montre ce que l’on est en apparence mais que l’on masque ce que l’on est réellement. Amit n’a sans doute pas la force de faire cela car il subit encore trop dans sa propre existence par rapport à ses camarades de croisière. Et si dans la vie nous travestissons ou masquons tous un peu de ce que nous sommes au plus profond, pour obéir à une pression sociale, la croisière apporte une autre forme de pression sociale. Amit le dit : “je n’ai jamais été aussi seul que maintenant”. Pourtant cette croisière communautaire en satisfait certains mais déclenche aussi des changements radicaux chez d’autres.

On n’échappe pas au moment “coming out” : Faut-il en parler à ses parents ? Si oui, que faire en cas de rejet ? Et ses amis, ses collègues ? La société de son pays est-elle prête ? Toutes ces questions sont évidemment abordées dans les divers témoignages avec aussi cette vision d’une homosexualité vue comme une “maladie que l’on attrape”. Si les personnages du documentaire se ressemblent, ils ont aussi des différences de situation. La religion intervient grandement là dedans mais pas seulement. Il suffit de voir ce que provoque un simple baiser entre hommes, ou femmes, dans une rue française, encore aujourd’hui, dans quelque centre-ville que ce soit. Sur ce point qui touche à l’intime, car la sexualité, on ne peut pas vraiment comparer à d’autres minorités ou communautés. Et pourtant, on a toujours des besoins de justifier des choix, quand ici c’est de l’ordre de l’évidence. Il n’y a pas, comme vu ailleurs, de moment où l’on voit un coming-out en direct mais plutôt des peurs pour ceux qui ne se sont pas lancés, des regrets pour d’autres quand cela s’est mal passé.

L’autre thème clé est celui de la mort. S’il y a ce stéréotype du Gay qui prend soin de lui, c’est aussi par rapport à la solitude qu’apporte souvent l’age (le “vieux gay solitaire”) et surtout avec le SIDA qui décima la communauté pendant les années 80-90 et continue de le faire. La vision du documentaire est très occidentale et même très blanche (bien qu’il y ait des noirs, arabes, indiens…), avec ce petit discours sur les thérapies qui rendent la maladie moins terrible. Mais on oublie le prix, l’accès aux médicaments et que la maladie fait rage, notamment en Afrique du sud et en Afrique Sub-saharienne. Là encore, se maquiller, changer de peau ou de sexe provisoirement, c’est masquer son age, défier un peu la mort. Avec maintenant la variole du singe qui fait ressurgir de vieux discours homophobes, on voit que rien n’est terminé non plus sur ce que pense la société. Ce n’était pas le cas en 2017 à l’époque de ce documentaire.

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Outre ces moments émouvants, il y a tout l’emballage. C’est interdit aux mineurs car il y a quelques plans de sexe. Il y a aussi le petit matin où l’on balaye des monceaux de préservatifs sur le pont du navire. Le gay n’est pas du genre éco-responsable ! Ça fait de l’image mais finalement, ce n’est pas si différent de n’importe quelle fête à Ibiza, Goa ou ailleurs. Les participants viennent s’amuser, rencontrer, pour le sexe très clairement, même si certains aimeraient aller plus loin qu’un coup d’un soir ou d’un matin. On ne voit pas non plus l’envers du décor pour tout l’équipage qui fait fonctionner le navire et c’est assez dommage. Car le rêve peut aussi virer au cauchemar pour des personnes qui passent des mois loin de chez eux. Cela aurait fait trop de sujets à couvrir. Avec le titre, on sait ce que l’on va voir et même dès le départ. Quel était le but de tout ça? A peu près le même que montrer une croisière Kiss Cruise ou autre croisière thématique : Comment cela se passe ? Qui fréquente ce type de tourisme ?

La critique est donc facile mais le repli communautaire de tous ces événements, gay ou autres, interroge. Forcément, on tombe dans une caricature à filmer cela, en cherchant l’image. Il faut prendre le temps d’écouter, ce qu’a fait justement le réalisateur dans des moments sans doute trop courts. J’avais parfois le même ressenti lors d’autres reportages comparables sur des communautés en croisières. Je comprends à la fois ce besoin de se rassembler avec ceux qui nous ressemblent, pour se sentir plus “normal”, sinon plus fort. Mais n’est-ce pas aussi reculer pour mieux sauter aussi? Amit parlait de la vie “normale” qu’il voulait vivre et que le stéréotype gay est souvent de paraître plus hétéro qu’un hétéro. Il y a des petits moments dans la vie où l’on voudrait être totalement soi au grand jour. Le droit à la différence, même dans les sociétés les plus tolérantes, est loin d’être satisfait. Et ne voir toujours que des caricatures lorsqu’il y a à comprendre et écouter fait bien partie du problème.

Bande-annoncevideo

Le documentaire a été diffusé sur Arte TV en 2022.


Ecrit le : 03/09/2022
Categorie : reflexion
Tags : homosexualité,communication,documentaire,film

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