Littérature - Le Puit de Solitude de (Marguerite) Radclyffe Hall (1928)

Encore un classique de la littérature anglaise mais un classique sulfureux puisqu’il fut interdit jusqu’en 1959 en Angleterre. Pourquoi donc ? Parce que cette romance ne plaisait pas aux conservateurs.

On pourrait faire aussi un roman ou un film sur son autrice, Radclyffe Hall, parfois affublée de son prénom Marguerite ou de son surnom, John. Mais ce roman s’en charge un peu puisqu’il y a beaucoup de similitudes avec sa propre existence. Si vous aimez les ambiances des livres de Jane Austen ou plus encore ceux de Virginia Woolf, il y a des chances que vous aimiez celui-ci. Après tout, ce n’est que l’histoire d’une jeune fille unique de la bonne société britannique.

Sauf que Stephen Gordon est née dans le Worcestershire au début du 20ème siècle. Son père Philip attendait un garçon qu’il voulait nommer Stephen mais il n’aura qu’une fille. Qu’importe, elle gardera ce prénom. Elle grandit de manière solitaire dans Morton Hall. Sa mère ne supporte pas de retrouver plus de son père que d’elle même et ne lui porte aucune affection. Elle s’entiche de Collins, la femme de chambre mais son coeur est brisée quand elle la voit embrasser un jeune homme. Stephen suit finalement ce que son père voulait en s’habillant en homme et agissant souvent comme tel, en ne suivant pas le modèle que l’on attend pour les jeunes filles. Sportive, érudit, aimant écrire et faire du cheval, elle se retrouve solitaire par la force des choses. Jusqu’à ce qu’elle rencontre Martin à 17 ans, qui devient un peu plus qu’un ami, un solitaire comme elle. Elle aime mais pas comme on l’attend d’une jeune adulte. Elle aime Morton, les chevaux, son amitié avec Martin, sa solitude quoiqu’elle lui pèse, justement. Et un jour elle aime aussi…Angela, une américaine plus agée qu’elle.

Ce livre est important car au delà du sujet de la solitude, comme le laisse penser le titre, il parle aussi de l’homosexualité féminine. Car après Martin, Angela et Collins, il y aura d’autres rencontres… Ce fut donc un scandale à sa sortie, au point qu’il fut interdit sur le territoire britannique. Il s’exporta avec succès aux USA ou en France, etc… Sujet tabou donc mais écrit avec la plume remarquable de Radclyffe Hall qui permet de donner une âme à sa Stephen, de s’attacher à cette jeune fille, jeune femme, tout comme à Morton et tout ce petit monde, puis aux personnages secondaires comme Puddle, Brockett, … L’histoire n’est pas linéaire mais s’attache aux principales étapes de sa vie de jeune fille puis de femme “invertie” comme l’on disait alors. Elle fait des choix, souvent cruels, et l’on comprend mieux toute la dramaturgie de cette existence dans ce final. Il y aurait pu avoir une continuité mais le livre est déjà assez riche pour bien comprendre.

J’avais lu une première fois ce livre il y a plus de 15 ans je crois et cela m’avait durablement touché pour que je développe tout un imaginaire sur l’environnement de cette histoire. Je suis aussi nourri par toutes les œuvres sur la période post-victorienne et aussi les films de James Ivory, réalisateur dont j’aurais aimé qu’il s’attaque à cette adaptation (mais bon, après Maurice, cela aurait paru cliché). Cette fois, je l’ai lu en anglais. Non sans mal pour les tournures et expressions mais c’est un bon exercice pour ne rien perdre du récit….et du niveau d’anglais chèrement acquis. Les passages où l’autrice fait parler les domestiques et paysans avec l’accent et les fautes sont ardus et difficile à retranscrire. C’est une véritable saga que l’on suit avec la vie de Stephen. Une saga passionnante d’une jeune passionnée. Ceux/celles qui apprécient déjà ce type de récits seront embarqué(e)s dans l’histoire.

Il ne faut pas croire que ce livre s’adresse uniquement à des lecteurs homosexuels ou avec des “soucis de genre”, comme certains pourraient le dire. Il y a une peinture de la société anglaise, évidemment, mais finalement de la société humaine, surtout bourgeoise et aristocratique, qui persiste encore. Paradoxalement, on pourrait penser que ce n’est qu’un problème de conservatisme, de caste, etc…Mais Radclyffe Hall va bien au delà de ce sujet lorsqu’elle intègre aussi des personnages de toutes origines géographiques (bien que blancs…) dans son histoire. Le conservatisme dans les esprits se fait aussi par mimétisme. Il y a ces sujets universels de la solitude et du choix de vie qui le rendent encore actuel et puissant dans notre époque. Un livre qui marque durablement son lecteur, à moins de ne pas être sensible à ses thèmes. Il est peut-être difficile à trouver aujourd’hui (surtout en ebook) mais vous ne devriez pas le regrettez. Amis bibliothécaires, faites mieux ;-)

autrice


Ecrit le : 12/11/2022
Categorie : litterature
Tags : roman,livre,littérature,lesbienne,romance,angleterre,1920s

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