Réflexion - C'était un 8 juillet

C’était un 8 juillet 2024. Je me suis réveillé ce matin comme après un rêve étrange.

Je repense à mon enfance, à mes amis, à ceux que j’ai croisés : Je repense à Antonio, dont certains se moquaient car il était plus pauvre, sa famille ayant fuit Salazar. Je repense à Bruno ou Ellio, fils de maçon qui réussirent ici à sortir des clichés qu’on leur tendait. Je repense à Ahmed ou Yacine qui avaient plus de mal à trouver des stages que nous autres, leurs camarades un peu pâlichons. Je pense à madame Iceman, traitée de tous les noms, regardée de travers, alors qu’elle n’était qu’une innocente jeune fille qui n’avait que pour tord des yeux un peu bridés. Je pense à un collègue, arrivé à 8 ans sans parler français mais qui a tout appris, au delà de toutes ses propres espérances. Je pense à ses enfants aujourd’hui cadres supérieurs. Tous ceux là ne seraient pas français, malgré tous les papiers qui disent le contraire. Ils n’auraient pas le bon nom, le bon prénom, la bonne couleur de peau. Je repense à Erwan ou Caroline qui n’avaient pas les mêmes goûts que les autres. Je repense à Antoine, moqué par toute une cour d’école, parce qu’il était autiste. Je repense à Stéphane dont on se moquait parce qu’il était gros. Je repense à Serge qui m’appris bien plus qu’il ne l’imagine, un jour où j’accueillais avec lui un stagiaire de 3ème atteint de surdité, comme lui. Je repense à Nadia, qui restait souvent seule, sans amies dans la cour, parce qu’elle était la seule arabe dans un quartier bourgeois. Je repense à Mariana, qui eut la bonté de m’offrir un bracelet, juste parce que je l’avais traitée comme les autres et pas comme la gitane de la classe. Je repense à James, à Tugdual, à tant d’autres visages, voix, regards passés en un éclair dans une vie. Je repense à ses rumeurs de viol sur une fille du collège. Je repense à Aline dont on moquait la maigreur en plus de ses yeux bridés.

Je repense à eux ce matin parce que je ne sais pas ce qu’ils seraient devenus dans une telle France. Une France déjà bien violente, raciste, homophobe, … Mais qui aujourd’hui ne se cache plus pour l’être. Peut-être même que certains ont voté RN. Car si le résultat des élections est meilleur qu’espéré, il reste encore problématique. Je voyais ces regards inquiets, cette peur dans les yeux chez ceux que j’ai croisé pendant cette campagne électorale. Si je n’avais pas eu ce laisser-passer multicolore, peut-être n’aurais-je pas pu leur parler et partager un moment, un sourire, une parole rassurante. D’autres nous fuyaient parce que nous avions le sourire, envers et contre tous, parce que nous incarnions tout ce qu’ils détestent. La parole fut rare avec ceux qui nous détestent sur des à-priori. Non, la gauche n’est pas une troupe de gueulards violents comme ils le croient. Non, les habitants ne sont pas tous racistes, méchants, vindicatifs dans ce pays, même s’il ne semble pas l’avoir été autant de toute son histoire. Je regarde à mon tour l’autre comme un «ennemi» potentiel, comme si je triais entre le raciste ou le non raciste. Une France devenue presque binaire basculant entre le bien et le mal sans nuance. Même si le tableau montre un tripartisme, ce n’est pas aussi simple.

J’allais encore avec un peu de joie au travail mais ce n’est plus le cas aujourd’hui alors que je suis entouré de racistes qui se croient maintenant tout permis dans le coin cafétéria. J’ai cette impression d’avoir avec mes collègues proches comme un petit village gaulois face à l’envahisseur, un petit cercle où l’on peut encore parler avec positivité, sans haine, trouver des solutions face à l’adversité, se soutenir. Non, je n’ai pas peur d’eux, eux qui sont si lâches pour ne pas oser exprimer leur haine quand ils ne sont pas en surnombre. Mais aujourd’hui, je me dis aussi qu’il faut de la prudence tout autant que de la solidarité. Cette petite victoire n’est en fait qu’une bataille dans une longue guerre contre l’obscurantisme et la haine. Certains furent complices de tout cela et même dans les rangs d’une gauche reformée qui n’attend que de retomber dans ses travers. Je me réveille comme dans un rêve étrange où l’horizon n’est pas encore une ruine, mais semble sur le point de vaciller.

Enfin, je repense à ces 3 dernières semaines, à ces près de 27 actions réalisées par le groupe, à ces nouveaux visages, à toutes les rencontres toujours instructives même si c’est parfois dans l’adversité. Le plus dur, c’est toujours l’après, quand l’adrénaline retombe et que l’on se retrouve seuls. Cela décuple pourtant l’énergie, la créativité dont nous aurons besoin pour non seulement survivre aux années à venir mais aussi contrer toutes les ignominies, les mensonges, les manipulations qui vont avoir cours dans médias, réseaux et bouche à oreille comme je l’ai déjà entendu très largement. La montagne semble colossale parfois quand nous avons l’impression de n’avoir même pas une pelle pour la creuser. Je repense aussi à mes aïeux qui ont combattu à leur manière ces forces obscures en ayant peu de moyens aussi au début, en se sentant seuls. Je repense aux animaux que je continue à défendre, eux aussi sans voix face, et qui se retrouvent encore plus menacés qu’hier. Je repense à Al Aqsa, un chat adopté un jour par un couple de juifs israéliens. Je repense à Remy, jeune agneau sauvé de la mort au biberon. Je repense à Louna, vache partie trop tôt après un troisième vêlage. Je repense à ces «toros» que l’on torture dans une arène devant des yeux d’enfants et des rires d’adultes. Je repense à ces coqs ou ces chiens que l’on fait se battre pour des paris ou juste une passion morbide pour le sang versé. Pour eux aussi nous semblons bien peu à lutter, surtout quand certains des camarades versent par ailleurs dans des haines illusoires.

Je repense à cette histoire qui fit inscrire une utopie sur des frontons, parlant de Liberté, d’Egalité, de Fraternité. Comment s’en montrer digne demain et même dès aujourd’hui ? Voilà le défi qui continuera à m’animer jusqu’à ce que mes forces me quittent.

Ma Libertévideo


Ecrit le : 08/07/2024
Categorie : reflexion
Tags : réflexion,france,politique,

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