Cinéma - L'outsider de Christophe Barratier (2016)

Depuis la crise des subprimes de 2008, les films sur le milieu boursier se succèdent. Et en France, il fallait bien que l’affiare Kerviel-Société Générale arrive à l’écran.

Avec Christophe Barratier (Les Choristes, La nouvelle guerre des boutons, Faubourg 36…) aux commandes, j’avais de quoi être peu rassuré pour ce qui pourrait-être un biopic financier. Je restais en effet sur des films comme Inside Job, Margin Call, ou Cosmopolis qui apportaient une vision soit engagée, soit très arty du milieu. Le sujet est encore chaud et donc le cinéaste se retrouve aussi bridé par les avocats des deux partis : Kerviel et Société générale. Mais, autant lever le suspens tout de suite, le film est plutôt réussi.

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Je dis plutôt car dans un sujet aussi complexe, il faut faire des concessions. On peut en effet sombrer dans une hagiographie consistant à élever Jérome Kerviel en héros, en repenti. Ce n’est aucunement le propos d’un film qui montre justement la dérive du jeune homme. L’image choc initiale peut paraître de trop, pour maintenir une tension dans le récit, par contre. Car la tension vient justement dans cette montée en puissance d’un jeune homme discret, ambitieux, qui ne vit que par son travail. Barratier rappelle ses origines modestes, son envie de se hisser à la hauteur de ses modèles. Du grouillot, il devient peu à peu trader, encaissant des humiliations, mais aussi se glissant peu à peu dans la peau du trader.

Barratier réussit plutôt bien à retranscrire l’aspect technique de ce milieu, sans rentrer dans trop de complexité. Il ne sombre pas dans le “sex, drug and money” d’un “Loup de Wall street”, mais on en entrevoit assez pour comprendre que passée la pression des chiffres, les traders se lâchent. Ce sont des gros beaufs, vulgaires aussi, vivant dans un monde où les références sont différentes, où les jugements de valeurs sont en décalage. On ne manie plus de l’euro ou du K€ mais du M€. Pour avoir connu un milieu relativement proche dans l’esprit, je connais ces moments de pression, ce décalage total entre les indicateurs, les chiffres et la réalité de ce qu’il y a derrière. La hiérarchie paraît dépassée, ne regardant que son bilan de fin d’année sans se soucier du comment du pourquoi.

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Les limites, les barrières, les sécurités tombent devant l’ambition, le besoin de résultat toujours plus important. C’est une drogue, comme le jeu et le parallèle est assez souvent fait. Le personnage joué par François-Xavier Demaison (qui a connu cet environnement dans la vraie vie), est presque plus charismatique que Kerviel. Il initie Kerviel sans lui fixer véritablement de limite et crée le monstre. Arthur Dupont, sans être mauvais, attire finalement moins et c’est certaintement une volonté du réalisateur. Il paraît fade lorsqu’il est avec Sabrina Ouazani (l’Esquive), mais Kerviel l’était aussi. Le film relate aussi le drame humain d’un trader, en filigrane, un homme comme Kerviel, qui vivait par et pour son boulot, pour ses chiffres chaque jour. Sans être tendre avec les traders, Barratier rappelle aussi que passé la porte de la banque, ils redeviennent des humains avec leurs failles, leurs faiblesses, qu’ils masquent dans des comportements parfois outranciers.

Le film donne envie de détester ce monde, tout en donnant des clés pour essayer de comprendre la dérive. A force de claironer “vous êtes les meilleurs”, ils finissent par se croire au dessus de tout et tous. Mais corriger cette dérive est un autre problème. Ne pouvant conclure encore, Barratier reste sur une conclusion à tiroirs. Dommage qu’il ressorte de tout cela comme de la grisaille, bien loin justement du clinquant des modèles américains. Comme si Barratier voulait faire différent, triste et résigné, comme un purgatoire plutôt qu’un enfer.


Ecrit le : 22/11/2016
Categorie : cinema
Tags : 2010s,Cinéma,drame,finance,

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