Réflexion - De l'Américanisation de la société

On parle depuis des décénies de l’américanisation de notre société. Elle est surtout culturelle et il suffit de regarder le box office français ou de voir la profusion de burgers dans les cartes de restaurants pour s’en convaincre. Mais aujourd’hui, cela s’élargit à d’autres domaines

Il est souvent de coutume de dire que ce qui est à la mode aux USA arrivera quelques mois plus tard en France, ou ailleurs. Cela a longtemps été valable en musique, par exemple, même si la majorité de ceux qui achètent de la musique US n’ont pas la moindre idée de ce que signifient les paroles des chansons (si, si, il suffit de voir le niveau moyen d’anglais des français). La littérature est à peu près épargnée, même s’il y a de gros vendeurs de “page turner” dans le lot. En terme automobile, si on a longtemps échappé aux Trucks et Pick-ups et que l’on s’est débarrassé des inspirations US après les années 60, nous avons basculé dans le SUV et le crossover, une mode du véhicule ré-haussé et tous usages qui n’est pourtant pas totalement d’origine US. Cela a tué la berline (Ford n’en propose plus aux USA) en Europe mais elle a encore son mot à dire en Chine ce qui prouve que le mal n’est pas global (j’y reviendrais). En terme de consommation, j’ai parlé des burgers mais on voit aussi l’obésité progresser avec notre consommation de sodas et de “junk food”, qui n’est pourtant pas seulement US. Notre manière de nous habiller n’a pas totalement pris le pli US, même si on collectionne aussi des baskets, sneakers, …

Au delà de la consommation, médias et politique

je cite souvent “Idiocracy”, ce film devenu culte malgré ses défauts et qui prophétisait à la truelle les USA de …demain. Il y a d’abord les médias “traditionnels”, ou ce qu’il en reste, gavés que nous sommes à l’information continue et aux réseaux. Aujourd’hui en France, nous avons notre Fox-News et même au pluriel si on regarde les tendances à la droitisation. Cela fait des années que l’on nous balance de faux débats entre gens qui sont d’accord sur le fond. Alors quand maintenant on met face à face des gens qui sont plus là pour le combat que pour le dialogue, ça réveille forcément. Remémorez vous les émissions US avec du public qui réagissait à des cas sociaux dans les années 90 et nous sommes dans la même mise en scène. On va chercher la caricature, et certains la surjouent, parce que le clash fait parler, est repris et partagé sur les réseaux sociaux (simple accélérateur du phénomène et non sa cause) et donc amène l’audience. Ce qui compte n’est plus la pluralité de l’information mais sa capacité à captiver l’attention et à tourner en boucle jusqu’à la lassitude. Le moindre fait divers croustillant peut faire la nique à un acte anxiogène, ou encore la phrase provocante. Le reste n’existe plus.

Si on analyse un tant soit peu le “phénomène Zemmour”, ce n’est que ça pour masquer un gros vide : Des phrases et idées en rupture supposée qui vont chercher la provocation ou séduire nos peurs (Pétain, Immigration, peur de l’autre, permis à point ou toute sanction…), l’insulte systématique de l’interlocuteur qui viendra le contredire. On a comparé cela à Trump et ce n’en est que la pâle copie, car l’ex-président US a été bien plus loin avec un talent que l’on a tendance à minimiser. La politique US avait déjà été “contaminée” par la surenchère quelques années avant Trump. Obama en parle d’ailleurs dans son autobiographie dans un long chapitre qui montre que le parti républicain se divisait peu à peu en deux camps, certains n’étant là que pour l’opposition permanente et la gesticulation qui visait à la renommée et donc à la réélection. Ce qu’il n’explique pas, c’est la cause racine de ce mal car nous étions déjà avant les réseaux sociaux qui ne sont qu’un outil, pas une cause. Le Tea Party était un premier signal qu’avait tenté d’absorber le parti républicain. On mettrait l’adjectif “populiste” pour qualifier cela mais c’est une vision simpliste et fourre-tout. N’en a-t-on pas déjà élu un en 2017 ? Scoop : Cela sera de même en 2022.

Car les us et coutumes de LREM étaient aussi de la communication à outrance avec la novlangue qui va avec, sorte de recopie de ce qui a cours aux USA depuis quelques années, jusqu’au soutien des entreprises et fortunes via d’habiles montages financiers qui restent dans la légalité. Restait à trouver donc un individu qui sait user de toutes les armes politiques en coulisse et flatter tout un chacun, sourire dents blanches et propre sur lui, mais finalement sans vraiment de fond, sinon la captation du pouvoir. L’idéologie politique est aujourd’hui diluée ou exacerbée. D’un côté un vaste fourre-tout idéologique au centre qui ressemble à ce qu’est le parti démocrate US et de l’autre une droite décomplexée sur les sujets clivants : Ultra-libéralisme, Xénophobie, Anti-gauchisme primaire. Et plus vraiment de dialogue possible entre ces deux bords. L’écologie s’est diluée dans ce centre démocrate et on qualifie de radical tout ce qui sort trop à gauche. L’EELV qui éjecte Sandrine Rousseau de sa campagne présidentielle moribonde, en la présentant comme bouc émissaire de la médiocrité, c’est encore un exemple. Un Bernie Sanders qualifié de communiste par Trump n’est finalement qu’un socialiste pour nous. Enfin socialiste version light.

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Hopeless de Roy Lichtenstein - 1963

L’Europe aussi

L’Europe reste minée par une crise politique liée à sa construction, à son principe même. A cela s’ajoute le positionnement géostratégique face à la Russie et qui fait que les pays de l’est se rapprochent des positions US politiquement, Biden ou Trump ne changeant pas grand chose là dedans. (erratum : avec le conflit russo-ukrainien, on peut croire à une possibilité d’Europe diplomatique et militaire…ne rêvons pas) Mais en terme sociétal, c’est plus difficile à définir. On observe bien la même scission dans la société à plus ou moins grande échelle avec un retour des extrêmes-droites même dans des pays profondément marqués par l’histoire (Italie, Espagne, Allemagne). On a aussi des figures qui se sont parfois inspirées de Trump et de l’aile droite des républicains. On observe aussi le retour du conservatisme religieux commme arme pour conserver le pouvoir. En Italie, la vie des médias semble assez proche (du moins dans le groupe Mediaset) de ce que l’on connaît aux USA en terme d’images racoleuses, de place de la publicité. Mais la place de l’information continue n’est pas aussi importante partout qu’en France. Ne parlons pas de l’emprise des groupes financiers dans la presse car la France n’a pas attendu les USA pour ça et est souvent montrée du doigt aujourd’hui par ses voisins européens pour la collusion entre pouvoir, presse et groupes financiers.

Reste l’impact culturel. Il est évident en terme de Cinéma, la France ne s’en sortant pas si mal avec son cinéma national mais reste tout de même à 35% quand c’est plus proche des 10-15% dans la plupart des pays. En terme de comportement alimentaire, les chaines US sont bien implantées mais font parfois face à la concurrence de la “street food” locale. On peut mettre le Royaume-uni à part mais la France est là aussi plus touchée que d’autres pays, notamment au sud. Les pays nordiques sont aussi assez touchés, ainsi que l’Allemagne, du fait de la présence US après guerre aussi. Musicalement, c’est aussi une évidence et ce n’est pas demain que l’on écoutera partout de la K-Pop (pop coréenne) ou même de la C-Pop (pop chinoise).

Mais dans tout ça, la question est de savoir si l’apport est plus positif ou négatif. L’un des éléments avancé par beaucoup est …

Wokisme, mot compte-triple

C’est le terme à la mode chez certains ministres parce qu’on y met ce que l’on veut et que ça fait peur quand on ne comprend pas. Non, ce n’est pas faire de la cuisine asiatique avec un Wok. Cela vient de Wake, Woke, Woken, verbe irrégulier signifiant éveiller. C’est, à la base, le fait de prendre conscience de certaines injustices touchant les “minorités” que sont les femmes, les homo-sexuels, les noirs, les autochtones, … On range ainsi tout le mouvement “Black Lives Matter”, “Me Too” là dedans. Mais on y met aussi la Cancel-culture quand ça nous arrange. Evidemment, par le biais de la culture, des réseaux, une idée émergeant aux USA arrive forcément ailleurs, donc notamment en France. J’ai déjà fait un article sur la Cancel Culture mais ce n’est qu’un versant extrême que l’on rencontrera, pas la totalité d’un mouvement, sachant que les opposants au wokisme usent aussi de la même cancel-culture. Après tout, nous avons connu le MLF bien avant tout cela et c’était aussi un éveil, de même que les Suffragettes avant. Notre propre histoire française est bien malmenée avec la période de l’occupation, mais aussi toute la période coloniale, ou même l’impact de Napoléon sur l’Europe. L’éveil, c’est justement d’apprendre les versants négatifs et positifs de l’histoire et pas rester enfermé dans un “roman national” comme aimerait sûrement le conservateur Blanquer, ou pire plus à droite. Si ce terme et certains des mouvements ont été initiés aux USA, il ne faudrait pas oublier que ces débats restent depuis des années présents. Sauf qu’un déboulonnage de statue est bien plus médiatique qu’une réflexion de fond.

Le Fait divers et le People

C’est justement le fait divers qui prend le dessus sur des informations ayant plus d’ampleur. On se focalise sur un acte, on le monte en épingle jusqu’à l’écœurement. Mais le monde continue de tourner. Je me suis amusé à zapper sur l’émission tant décriée de C8, TPMP et cela tourne aujourd’hui uniquement autour de faits divers et d’information People, ou politico-people. Je me suis contenté de quelques secondes pour me préserver mentalement… C’est la réaction épidermique à un acte violent (dans tous les sens du terme) qui prime. On réagit à chaud, sans mesurer l’importance du fait. Donc on réagit mal, on réagit avec ses peurs. Et on réagit aussi sur des informations aussi insignifiantes que les problèmes conjugaux d’un joueur de football, la photo dénudée d’une star de télé-réalité sur instagram ou la maladresse d’un youtubeur. Là dessus, le média français aussi a pris le pli de l’info-tainment et de la peopolisation de l’information. Tiens, je me vois obligé d’utiliser des néologisme d’origine américaine. La grand messe du 20h laisse de plus en plus place à cela. Et comme le Français aime parler, se regarder, on a une profusion de talk-show (encore un nom US!) au programme.

La réaction possible

Il est intéressant de regarder ce qu’il se passe dans les deux pays les plus peuplés de la planète : La Chine et l’Inde. Modi a basé beaucoup de son pouvoir sur les traditions, la religion, et n’apprécie guère que le mode de vie US vienne dans la société indienne. Nous sommes quand même très loin d’une occidentalisation de l’Inde qui a bien des spécificités (bonnes ou mauvaises). En Chine, Xi Jinping a pris un virage de la rigueur vis à vis de la jeunesse. Il s’est attaqué aux mœurs de quelques stars. Il a fait disparaître des médias les fortunes les plus en vues. Il s’attaque aussi à l’excès de jeux vidéos et aux réseaux sociaux. On pourrait croire qu’il s’attaque finalement aux mauvaises habitudes occidentales et notamment US. Mais il faut mettre cela en parallèle avec le déficit de la Chine en matière de rayonnement culturel dans le monde. J’avais parlé de l’ouverture du spectacle de nouvel an au monde mais cela s’est parfois accompagné de maladresses (blackface) et il s’est recentré sur la Chine depuis ces dernières années. Il y a un investissement chinois conséquent dans les productions US et peu à peu on voit de grosses allusions à la Chine dans les films, sans même parler de ceux qui sont directement prévus pour cela. (voir par exemple la version Live de Mulan). On peut donc imaginer que bientôt ce soft power culturel soit plus équilibré.

Si les USA sont puritaines et à la fois excessives, notre société l’est devenue aussi et pourrait, par réaction, faire les mêmes excès de censure. Paradoxalement, il faut choquer d’un côté pour faire le buzz et ne surtout pas choquer de l’autre pour ne pas risquer de Bad Buzz (mauvaise presse en français). Le débat n’est donc plus vraiment autour d’une américanisation souvent historique, mais en terme de place de l’image et de l’individu par rapport à la société, ainsi que de toute la marchandisation que l’on place autour. Si l’on se penche ainsi sur l’age d’or de la presse papier, on voit que déjà le fait divers était au cœur de l’information et bien avant que l’information ne devienne aussi rapide qu’aujourd’hui, bien avant que les USA n’émergent. Le “populisme” n’a pas attendu le 21ème siècle pour exister non plus. Comme souvent, la réponse est plus éducative et pas de manière punitive. La tentation d’aller à la facilité est humaine. La tentation de réagir à tout est humaine. La tentation de suivre une grande gueule plutôt qu’une personne réfléchie est humaine. Et les sociologues, philosophes, psychologues n’ont pas fini de disserter sur les travers de l’humain dont la société est toujours le reflet. Le lent déclin des USA s’accompagne de soubresauts et je fais le pari que je n’en verrai pas la fin…Surtout quand on parle de troisième guerre mondiale à nouveau comme il y a 40 ans.

Bande son : Rammstein - Amerikavideo


Ecrit le : 05/03/2022
Categorie : reflexion
Tags : politique,culture,USA,

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